Le Journal de Montreal - Weekend

LES COULISSES DE LA CRITIQUE CULTURELLE

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Il a « sévi » pendant cinq décennies dans le milieu, à la fois vaste et petit, de la culture québécoise. On le craignait tout en le cherchant parce que sa parole portait loin, parce que son franc-parler donnait l’heure juste, ce qu’on appelle un point de vue que valorise le nombre des années, et que plus d’un partageait.

Dans cette autobiogra­phie écrite avec la complicité du journalist­e Marc-André Lussier, René Homier-Roy, un précurseur dans la lignée des noms de famille composés, se découvre agréableme­nt, d’autant plus qu’on apprend qu’il n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche et qu’il a eu une enfance à l’eau bénite, à l’image de la majorité des familles qui ont connu la Grande Noirceur.

Il se définit comme « un gars de char », tout comme l’était Pierre Bourgault, dont il fut le patron de presse. Cette passion, il l’a héritée de son père, une sorte de Roger Bontemps, qu’il vouvoyait comme on le faisait à cette époque.

Avide de savoir et d’apprendre, il s’inscrit en architectu­re à l’Université McGill qu’il quitte après deux ans pour se diriger à l’Université d’Ottawa où il étudie les sciences politiques. Avec ce passage par cette faculté, il acquerra une base solide de la chose politique qui l’aidera à animer, plus tard, l’émission matinale à la radio publique, tandis que de ses études en architectu­re, il retiendra le sens des proportion­s et l’harmonie des espaces intérieurs.

CHANSON FRANÇAISE

Très tôt, il côtoie des amis qui l’initient à la chanson française. Il aime qu’on lui raconte une histoire, ce que ne fait pas la poésie qu’il apprécie moins. Quant aux chansons américaine­s, elles le laissent froid, tout en avouant qu’il est « davantage Beatles que Rolling Stones ». C’est un peu l’âge d’or de la chanson française, qui servira de terreau fertile aux chansonnie­rs d’ici, qu’il appréciait tout autant, de Félix Leclerc à Gilles Vigneault, en passant par Pauline Julien, Claude Léveillée, JeanPierre Ferland, Raymond Lévesque et tant d’autres. Il se fait un plaisir de rappeler que la France a toujours représenté pour lui une sorte de « retour aux sources » qu’il redécouvre de fois en fois à travers aussi bien sa gastronomi­e que ses paysages diversifié­s ou sa culture.

VERS LE CINÉMA QUÉBÉCOIS

Il commencera sa longue carrière en journalism­e en 1965, alors que le directeur d’un hebdomadai­re, le Photo Journal, lui demande de rédiger la critique d’un film américain. Cette plongée dans ce nouveau monde l’entraînera finalement hors des sentiers universita­ires. Un vent de modernité souffle en même temps sur le cinéma québécois et Homier-Roy y fera sa place rapidement. On découvrira alors son style impertinen­t qui marquera sa carrière de critique culturel et qui le distinguer­a des autres critiques plus mous. Homier-Roy ne craint pas la controvers­e, il se définit comme un « spectateur profession­nel », dont le rôle est de « brasser la cage ». Et cela fonctionne, dit-il, dans la mesure où les gens savent où le critique loge pour se faire leur propre opinion. Comme il prend son métier à coeur, il n’est pas rare qu’il se mette des gens à dos. Dépêché au Festival de Cannes, en 1966, il en vient presque aux coups avec un critique qui démolit le dernier film de Lelouch, Un homme et une femme.

Lire cette autobiogra­phie, c’est redécouvri­r avec bonheur l’âge d’or du showbiz québécois, qui s’exposait dans les salles de spectacles, les théâtres, les cinémas, les festivals, mais aussi dans les nombreuses salles de rédaction et studios que R. H.-R. a fréquentés. On croit entendre encore sa voix un peu maniérée, mais qui nous est devenue familière, à la radio de Radio-Canada, où, pendant de nombreuses années, « aux aurores », il a secoué nos puces matinales et créé un style tout à fait personnel, inimitable, au point de confondre le critique et l’animateur. Émouvante sa rencontre avec Pierre Bourgault, alors dans la dèche et à qui il offre un travail dans le magazine Nous.

Une belle traversée des 50 dernières années dans les coulisses de la critique culturelle.

MOI

René Homier-Roy, avec la complicité de Marc-André Lussier, Éditions Leméac

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PHOTO COURTOISIE LEMÉAC
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