Le Journal de Montreal - Weekend

EST-CE LÀ SON ENFANT ?

Il y a de quoi être déroutée : est-il mort à la naissance ou non, l’enfant que la narratrice a eu 33 ans plus tôt ? Un coup de fil remet tout en question...

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

On se croirait en plein roman policier, mais c’est plutôt le fil du doute que nous sommes appelés à suivre dans La Crue, premier roman d’Ariane Bessette, qui avait jusqu’ici publié deux recueils de poésie. Une expérience qui lui sert puisque ce récit, par sa délicatess­e d’approche, relève aussi du poétique.

Il s’agit de faire voir les incertitud­es d’une femme qui a beaucoup souffert, mais sans sombrer dans le voyeurisme ou l’invraisemb­lance. Car non, elle n’est pas folle, cette narratrice qui nous raconte son histoire assez particuliè­re, même à ses propres yeux.

Reste que dans le cadre de son travail, complèteme­nt par hasard, elle a eu au téléphone une jeune trentenair­e née exactement le même jour, la même année, dans le même petit hôpital où elle a autrefois accouché. Sauf que dans son cas, ç’avait viré au drame : sa petite fille était mort-née et elle n’avait même pas pu la voir.

S’en sont suivis dépression et éclatement du couple qu’elle formait, puis toute une vie à se rebâtir. Et là, cette voix, cette coïncidenc­e…

À LA LIMITE DU RÉEL

Elle va donc s’intéresser à cette jeune femme, prénommée Frédérique, et qui, découvre-t-elle, est la fille d’un médecin qui travaillai­t à l’hôpital il y a 33 ans. Du coup, la narratrice va s’obliger à retrouver au fond de sa mémoire le déroulemen­t précis de son accoucheme­nt. À l’époque, dévastée, elle n’avait même pas demandé de détails sur ce qui s’était passé. « Je les ai laissés faire. Ils m’ont pris mon bébé et je les ai laissés faire. J’ai cru leurs paroles, sans jamais tourner le dos ni ouvrir les yeux. »

Mais cette fois, elle veut s’attarder aux détails, aux coïncidenc­es. Se pourrait-il que…

Ce faisant, on va voir se déployer la douleur qui a été la sienne pendant des décennies et comment elle a réussi à vivre avec, à défaut de l’oublier. Et quand elle raconte, c’est en s’adressant à cette Frédérique tombée du ciel.

Tout ceci est très finement raconté. L’enfant que la narratrice n’a jamais vue, « toujours en gestation, à la limite du réel », prend vie au fil des pages, de plus en plus incarnée par Frédérique aux yeux de la narratrice, qui mène son enquête en solitaire. Et qui obsède de plus en plus. « Il ne faut pas que ça dérape. Je sens le glissement, tout près. »

On est donc sur une frontière fragile, qui a pour toile de fond un espoir démesuré et sa compagne, la crainte de l’échec. Mais Ariane Bessette a le talent de maîtriser jusqu’au bout ce récit où tout peut basculer. Et nous resterons dans le plausible jusqu’à la scène finale. Ce suspense psychologi­que est aussi une ode à la maternité.

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