Le Journal de Montreal - Weekend
UN QUÉBÉCOIS DANS LE GANG D’AL CAPONE
Plongeant au coeur du monde interlope des années 1920 et 1930, avec ses speakeasys, ses caisses d’alcool trafiqué aux frontières et ses tables de poker, Dan Gosselin raconte dans Frenchie la vie étonnante de son oncle, un Lévisien qui s’est retrouvé dans les rangs de l’Outfit, l’organisation clandestine d’Al Capone.
Léopold « Paul » Lafrenais avait 15 ans en 1920. Après un braquage dans une banque de Lévis, il a pris la fuite à bord d’un train et s’est retrouvé, après plusieurs petits boulots dans les chantiers du nord de l’Ontario, au coeur de la ville de Chicago... puis du monde interlope.
Dan Gosselin a recueilli ses confidences alors qu’il était tout jeune, puis l’a questionné davantage quand il a eu l’âge de comprendre qui son oncle avait fréquenté.
Patiemment, en faisant quantité de recherches documentaires, Dan Gosselin a reconstitué le puzzle de la vie de son oncle, surnommé « Frenchie ».
« J’ai eu des conversations avec mon oncle, mais je ne suis absolument pas un spécialiste de la prohibition, ni de la mafia, ni d’Al Capone... mais l’écriture d’un livre ça nécessite de se documenter beaucoup et longtemps. Et c’est ce que j’ai fait », dit Dan Gosselin, en entrevue.
« J’ai découvert pas mal de choses qui m’ont amené à comprendre que c’était pas seulement une affaire de Chicago, ni exclusivement des années 1920. C’est fascinant, le phénomène. »
« L’homme que j’ai connu était un monsieur très discret, très gentil, très posé, très simple. [...] C’était un gars qui a toujours été discret tout le long de sa vie, mais très vite à l’action. »
SENTIMENT DE CULPABILITÉ
Dan Gosselin se souvient que Paul vivait avec un grand sentiment de culpabilité face à son passé. « Il ne faut pas imaginer le type qui passe toute sa retraite à raconter ses faits d’armes avec fierté – ce n’est pas du tout ça. Nos conversations remontent aux années 1970, et ce n’était pas quelqu’un qui se vantait de ça du tout. »
« Il faut comprendre qu’il n’a probablement jamais cessé d’être répréhensible dans ses actions. Il n’a pas juste fait des folies dans les années 1920 pour ensuite devenir quelqu’un de très sage. Il a continué de faire d’autres choses, ailleurs, à d’autres époques. De sorte qu’il n’a à peu près jamais parlé de ça. [...] S’il avait été bavard, il ne se serait pas rendu à la retraite. »
Jusqu’à quel point était-il dans l’entourage d’Al Capone? « Il m’a dit qu’il n’était pas un boss et qu’il n’était pas dans la garde rapprochée d’Al Capone, mais pour toutes sortes de raisons, on a fait appel à lui et il s’est trouvé à le conduire quelquefois. À quelques rares occasions, Al Capone était assis derrière lui, dans l’auto. Mais il était partie prenante de l’organisation. »
Paul Lafrenais a gravi les échelons, partant d’un travail de simple manutentionnaire de caisses de bouteilles d’alcool à un rôle plus important.
« Il a découvert – à peu près en même temps qu’il s’est mis à parler anglais – ce qui se passait dans cette bande. Ça l’a stimulé énormément parce que les salaires étaient mirobolants. »
« IL SE SENTAIT INVINCIBLE »
En devenant chauffeur de camion, la part de risque augmentait... et le salaire aussi. « Il était à l’âge où il se sentait invincible. Il voulait vivre des aventures... il ne pouvait être mieux servi. »
« Il s’est mis à se promener avec des convois de caisses de bouteilles en provenance du Québec. On l’envoyait sur les lignes américaines, en passant par la Beauce. Il aurait pu lui arriver toutes sortes de choses, mais finalement ça s’est bien passé. Beaucoup de chance l’a accompagné. »