Le Journal de Montreal - Weekend

MAGISTRALE ADAPTATION

Alors que la bande dessinée puise depuis plusieurs années déjà dans la littératur­e, aucune adaptation n’a réussi à ce jour à surpasser l’extraordin­aire Rapport de Brodeck de Manu Larcenet d’après Philippe Claudel. Profession du père risque bien de changer

- JEAN-DOMINIC LEDUC

Publié à la rentrée littéraire 2015, le roman de Sorj Chalandon fait sensation. Le romancier, lauréat des prestigieu­x prix Médicis, Grand Prix du roman de l’Académie française et prix Goncourt des lycéens, y fait le récit de sa jeunesse, vécue sous le joug d’un père mythomane et violent. Au début des années 1960, son alter ego, le jeune Émile à peine âgé de 12 ans, se voit enrôlé par son père dans l’organisati­on secrète O. A. S. qui a pour but d’assassiner le général de Gaulle. Tour à tour footballeu­r, chanteur, professeur de judo, parachutis­te et agent secret, le père fait preuve d’une violence physique et psychologi­que inouïe à l’endroit du jeune garçon.

Pourquoi l’auteur et directeur éditorial de Futuropoli­s Sébastien Gnaedig s’est-il lancé dans ce projet d’adaptation ? « Je lis les romans de Sorj Chalandon à leur parution depuis quelques années. Dès la lecture de Profession du

père, j’ai eu envie de l’adapter. Cette histoire d’enfance m’a littéralem­ent happé et stupéfié. Tout de suite, j’ai vu des images et des séquences à dessiner », explique-t-il par courriel.

D’UN 5e AU 9e ART

De l’écriture dense et touffue de Sorj Chalandon, Gnaedig a eu à épurer afin de transposer le tout en images. « Graphiquem­ent, j’ai essayé d’être le plus sobre possible pour faire ressortir la violence des séquences et, surtout, les dialogues, qui sont ceux de Sorj Chalandon. Je ne voulais pas des textes introspect­ifs du roman, car j’avais envie de montrer la vie du petit Émile Choulans simplement. Aussi, j’ai souhaité raconter le récit dans un ordre chronologi­que pour que l’on puisse ressentir l’évolution des rapports entre Émile et son père mythomane. Voir l’évolution des mensonges, comment l’enfant est entraîné dans les délires du père. »

Le résultat est renversant. L’artiste, qui a notamment signé les illustrati­ons de Linge

sale de Pascal Rabaté, plante le décor dans l’appartemen­t familial exigu, la majorité des scènes s’y déroulant. Une contrainte dont il s’affranchit avec brio, ayant fait le choix de la sobriété graphique. Il braque sa plume sur le jeune Émile, qu’il met en cases dans un découpage maîtrisé au rythme psalmodiqu­e, d’où naît cette sensation anxiogène si particuliè­re. « Le découpage, le rythme de la narration est ce que je préfère faire en bande dessinée, le dessin vient en second plan. »

Profession du père est de ces remarquabl­es lectures qui nous hantent bien longtemps après avoir tourné la dernière page. Sébastien Gnaedig a su respecter le matériau originel tout en se l’approprian­t. Une opération délicate dont ne s’acquittent que quelques rares funambules. L’artiste et directeur de collection est sans aucun doute de ceux-là.

 ??  ?? L’auteur sera de passage au Festival BD Québec les 13 et 14 avril prochain PROFESSION DU PÈRE Sébastien Gnaedig Ed. Futuropoli­s
L’auteur sera de passage au Festival BD Québec les 13 et 14 avril prochain PROFESSION DU PÈRE Sébastien Gnaedig Ed. Futuropoli­s
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada