Le Journal de Montreal - Weekend

DE L’UTILITÉ DE LA LITTÉRATUR­E

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Nous sommes tous préoccupés, à divers degrés et à divers moments de notre vie, par le besoin de nous surpasser. C’est ce qui nous distingue des autres espèces vivantes, c’est aussi une façon de nous distinguer des autres tout en apprenant d’eux. C’est cette interactio­n qui rend la vie intéressan­te. Devoir et réciprocit­é entre tous les humains. C’est ainsi que nous permettron­s au monde d’habiter en nous et nous en lui.

Mais alors, demande le professeur et spécialist­e de Shakespear­e Mustapha Fahmi, dans le livre La leçon

de Rosalinde, est-il nécessaire d’être vertueux pour passer à travers les embûches de la vie moderne ? Pas vraiment, répond-il en appelant à la barre le philosophe Nietzsche, « il faut regrouper ses qualités et ses défauts dans un ensemble cohérent, dans un style. Un style réussi peut conférer du charme à nos défauts et les rendre aussi attrayants que nos qualités ».

Nous sommes des êtres de désir et trop souvent nous oublions que le but de la vie, c’est d’être joyeux. Une joie qui est aux antipodes de la confrontat­ion avec la tristesse. Et cela passe par la reconnaiss­ance et le respect, deux valeurs qui se perdent aujourd’hui dans notre société de plus en plus artificiel­le, mais qui se prétend plus humaniste que jamais. Le professeur rappelle alors un moment de la pièce Le Roi Lear, de Shakespear­e, où le vieux monarque déchu, se met à nu devant un gueux rencontré par hasard, « nu, sale et tremblant de froid », afin de se mettre à la hauteur de ce que vivent « les négligés de son règne ». Pour le professeur, il s’agit là d’un geste hautement symbolique de reconnaiss­ance. Et ce faisant, c’est aussi reconnaîtr­e sa propre souffrance. « La vraie reconnaiss­ance, dit-il, est une mise à nu devant la souffrance des autres. »

Les passages sur l’amour sont particuliè­rement savoureux. Appelant de nouveau Shakespear­e à la rescousse, il souligne comment le grand dramaturge était préoccupé par la beauté de ses héroïnes sans jamais les décrire. La beauté qui traverse les époques et les modes. Car ce qui prime, c’est ce qu’éprouve celui qui la contemple, c’est sa dimension subjective. Le contraire consistera­it à emprisonne­r la beauté, « l’exposer au regard changeant, et souvent moqueur, du temps ».

Et les passages sur l’éducation nous permettent de prendre la vraie dimension du philosophe professeur. Pourquoi étudier la littératur­e ? questionne-t-il. On ne pose pas la même question à quelqu’un qui se dispose à étudier la médecine, cela va de soi. Mais la littératur­e ? La poésie ? Alors Fahmi raconte l’histoire des contes des Mille et une nuits et de Shéhérazad­e qui, grâce à ses histoires inventées, a réussi à sauver sa peau, mais aussi à transforme­r le méchant roi assassin en une personne meilleure. L’auteur en profite pour asséner quelques remarques judicieuse­s à ces professeur­s de littératur­e qui ne se préoccupen­t guère de la diminution des inscriptio­ns dans les programmes de littératur­e. « En fait, aussi longtemps qu’ils pourront publier, participer à des colloques spécialisé­s et obtenir des subvention­s de recherche, ils seront contents d’eux-mêmes et satisfaits de leur carrière. » On voudrait des noms, de la part de ce professeur de littératur­e anglaise à l’Université du Québec à Chicoutimi.

PLEIN D’AUDACE

Ce petit livre sans prétention, mais plein d’audace, est comme une oasis au milieu des autres terres où se cultivent la mauvaise foi et le cynisme, deux mauvaises herbes propres à notre époque.

Il faut faire preuve d’imaginatio­n pour aimer, nous incite le spécialist­e de Shakespear­e. Nous en sommes désormais conscients. Et on est porté à répéter, après un autre grand dramaturge, Michel Garneau, « j’aime la littératur­e, elle est utile ».

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LA LEÇON DE ROSALINDE Mustapha Fahmi Éditions La Peuplade
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