Le Journal de Montreal - Weekend

«ON NE PEUT JAMAIS SE DÉFAIRE D’OÙ ON VIENT »

Corneille a fait du Québec son chez-soi il y a de cela 21 ans déjà. Et malgré toutes ces années passées loin de son pays d’origine, qu’il a quitté après avoir survécu au massacre de sa famille, en 1994, l’auteur-compositeu­r-interprète de 41 ans ne s’est j

- VANESSA GUIMOND Le Journal de Montréal

« Les circonstan­ces dans lesquelles j’ai quitté mon chez-moi ont toujours voulu m’arracher complèteme­nt de ce pays-là. Mais il n’y a rien à faire. Plus je vieillis, plus je ressens cet appel. C’est de pire en pire, ou de mieux en mieux. Plus j’avance en âge, plus c’est fort », a indiqué le chanteur, en entrevue.

« Heureuseme­nt que je suis artiste, a-t-il ajouté. Heureuseme­nt que je crée, parce que c’est une belle façon d’établir un pont, de me rappeler d’où je viens et de le dire haut et fort. »

La séance photo réalisée pour les besoins de ce reportage, qui rend hommage à l’univers des sapeurs congolais, ces adeptes du mouvement de mode Société des ambianceur­s et des personnes élégantes (SAPE), l’a d’ailleurs comblé de bonheur.

« Ça, ça fait des années que j’ai envie de le faire », a-t-il dit, les yeux brillants, en pointant le studio où venait à peine de se conclure l’exercice.

« Tout en Afrique m’appelle. Par contre, il y a cette distance physique, cette distance pratique qui m’empêche de le vivre. (...) Mon truc, pour combler ce trou, c’est de mettre le plus d’Afrique possible dans ce que je crée. Et je vais le faire de plus en plus. »

TOURNÉE AFRICAINE

Malgré tout, n’allez pas croire que Corneille s’est complèteme­nt réconcilié avec son passé et le pays qu’il a fui dans des circonstan­ces inimaginab­les, à l’âge de 17 ans. Entre le fait de ressentir son africanité vibrer dans tout son être et remettre les pieds sur le territoire où il a tout perdu, il y a un monde.

Ce n’est donc pas un hasard si le ton devient plus sérieux lorsqu’on lui parle de ses admirateur­s africains, qui espèrent pouvoir le revoir sur scène sur le continent, dans un avenir rapproché.

« Ça, c’est mon gros pincement au coeur et mon rêve en même temps », a indiqué le chanteur, ému.

« Comme je dis toujours, je n’ai pas envie de faire un ou deux shows en Afrique et de revenir. Si je fais une tournée en Afrique, j’ai envie de prendre un mois de mon temps et de faire ça comme il faut. J’aimerais visiter un maximum de pays. Je n’ai jamais vraiment fait de tournée, là-bas.

J’ai fait des shows en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Maghreb, mais je n’ai pas fait le grand tour de l’Afrique subsaharie­nne. J’en ai tellement envie. Je ne suis jamais allé au Cameroun, je ne suis jamais allé au Congo et je ne suis jamais allé au Rwanda. »

Si une chose est sûre, c’est que ce retour marquera une étape importante dans le cheminemen­t personnel de l’artiste, s’il se concrétise.

« Pour moi, c’est gros. Ça va au-delà de ma carrière. En fait, ça n’a presque rien à voir avec ma carrière. C’est très personnel. C’est un voyage qu’il va falloir que je fasse un jour, mais je veux bien m’y préparer. »

LES ENFANTS

Cette amorce de réconcilia­tion, Corneille estime qu’il la doit en grande partie à sa famille métissée, lui qui est marié à Sofia de Medeiros, une Québécoise d’origine portugaise avec qui il a eu deux enfants, un garçon et une fille.

« Ce qui est étrange, quand on est en couple métissé, comme moi, c’est que mes enfants ne sont pas que noirs. Ils ne sont pas que rwandais. Ils sont autre chose. Ils sont québécois et portugais aussi. Donc je suis devenu québécois et portugais. Je suis devenu blanc, nord-américain et méditerran­éen, parce qu’il n’y a rien qui me soit plus proche que mes enfants. Affectueus­ement, mais même biologique­ment et génétiquem­ent », a-t-il souligné.

« À un moment donné, on est obligé de faire la paix avec d’où l’on vient. Je suis obligé d’aimer le Rwanda, car sinon, c’est une partie de mes enfants que je vais renier, a-t-il ajouté. En même temps, je suis aussi obligé d’aimer le Québécois et le Portugais, puisqu’il est devenu moi. C’est intense. Par ma progénitur­e, je m’éloigne génétiquem­ent de mes racines, mais je m’en rapproche grâce à eux aussi. »

LA PAIX

Malgré le déchiremen­t qu’il ressent et le défi que cette réconcilia­tion représente dans sa vie, l’artiste se rapproche de plus en plus de son objectif. C’est avec beaucoup de sagesse qu’il constate aujourd’hui tout le chemin qu’il a parcouru, au cours des dernières années.

« On ne peut jamais se défaire d’où l’on vient. Qui que l’on soit. Ces racines-là font partie de nous à vie, quel que soit le rapport ou le conflit que l’on a pu avoir avec cet endroit. Il faut faire la paix avec, et moi, je suis là-dedans. Je suis en voie de faire la paix. Le vrai travail a commencé avec le livre. Ç’a été ça, le gros du cinq ans que j’ai passé à écrire ce livre-là : faire la paix avec mes origines. »

 ??  ?? CORNEILLE
CORNEILLE

Newspapers in French

Newspapers from Canada