Le Journal de Montreal - Weekend
UN CHRONIQUEUR AU SCALPEL DE L’AMÉRIQUE
Paris - Inventeur du nouveau journalisme venu tardivement au roman avec le best-seller Le Bûcher des vanités, l’écrivain Tom Wolfe, décédé lundi à 88 ans, a radiographié la société américaine d’une plume décapante.
Son oeuvre, riche d’une dizaine d’essais et de romans, est tout entière soutenue par une conviction héritée d’une lecture assidue du sociologue allemand Max Weber.
Selon Tom Wolfe, « le statut d’un individu dans la société, son appartenance à une classe sociale et culturelle déterminent ce qu’il est, la façon dont il pense et se comporte, bien davantage que sa psychologie personnelle et son histoire intime ».
Lui-même n’a jamais cherché à se rebeller contre son milieu : la bourgeoisie blanche et conservatrice du sud des États-Unis. Dandy courtois au chic démodé, il se vantait d’être le seul écrivain américain à avoir voté pour George W. Bush en 2004.
Marié pendant près de 40 ans à la directrice artistique du Harper’s magazine, père de deux enfants, il menait une vie discrète entre Manhattan et la côte chic des Hamptons, loin des scandales qui émaillaient ses romans.
DU REPORTAGE AU ROMAN
Diplômé en civilisation américaine, il débute dans le journalisme au Springfield Union, un journal du Massachusetts en 1956. Il rejoint ensuite le
Washington Post, où il sera correspondant à La Havane et à Washington.
En 1962, il démissionne et déménage à New York. Pigiste, il est envoyé en Californie par le magazine Esquire pour réaliser un reportage sur des fous de voitures.
Sous sa plume, le reportage devient un roman, The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby : les personnages sont mis en scène, les points de vue multipliés, des bouts de dialogues sont intercalés entre les descriptions, onomatopées et points d’exclamation se bousculent.
Sa carrière est lancée. Dix-huit mois plus tard, il est la figure centrale du « nouveau journalisme », bannière sous laquelle sont enrôlés — plus ou moins contre leur gré — Hunter S. Thompson, Norman Mailer et Truman Capote. Pour Rolling Stone ou le New York
Herald Tribune, Tom Wolfe rédige des chroniques décapantes sur la culture pop américaine.
MÉTICULEUX
Au-delà du style, son travail repose sur une méticuleuse recherche documentaire, des heures d’interviews et des mois d’enquêtes.
Pour L’étoffe des héros (1979), son essai sur les pionniers de la conquête spatiale, il passe ainsi plus de six ans à sillonner les États-Unis.
Admirateur de Zola — Quand, à 57 ans, il décide de se mettre à la fiction, il conserve intactes ses méthodes d’investigation. Son premier roman Le Bûcher des
vanités (1987) est un portrait hyperréaliste et cinglant de la ville de New York des années 1980, dominée par la sphère financière.
L’ouvrage est un best-seller mondial. Les seuls droits d’adaptation au cinéma lui rapportent 5 millions de dollars.