Le Journal de Montreal - Weekend
UN OISEAU RARE POUR DÉTECTIVE !
Quel personnage intéressant Magali Sauves vient-elle de créer ! Un détective issu de la communauté hassidique qu’il ne faudrait pas perdre de vue.
Le policier vedette de 160 rue Saint-Viateur Ouest s’appelle Mathis Blaustein. Il est né dans une famille hassidique du Mile-End montréalais, est homosexuel, et a dû de ce fait quitter sa communauté. À force de travail, il est devenu lieutenant à la Sûreté du Québec.
Il continue de voir sa mère en secret, mais demeure avec Jean-Claude Limoges, prof au secondaire et dont la famille vient de Longueuil. Bref, il se promène entre deux mondes, pas si à l’aise ni dans l’un ni dans l’autre.
On constate sans peine qu’à lui seul, ce portrait nourrit un roman, d’autant que l’auteure ne cède en rien au politiquement correct : les lacunes des communautés comme des humains sont épinglées de chaque côté. On est dans le réalisme ici, pas dans des cartes postales !
À ce personnage déjà très riche, Magali Sauves ajoute encore deux fortes intrigues et un soupçon de commission Charbonneau. C’est beaucoup pour un seul livre, comme si l’auteure n’avait pas mesuré tout le chemin qu’elle pourrait dorénavant faire avec ce détective de son invention, dont l’originalité appelle facilement d’autres romans.
Ici, Mathis Blaustein est envoyé sur la scène d’une mort suspecte, celle d’un ingénieur qui faisait des expérimentations dans une entreprise qui développe des biopesticides. Cet homme, Georges Jalabert, a été trouvé couvert de dégoûtantes pustules. Ne s’agit-il vraiment que d’une conséquence tragique de ses travaux ?
Parallèlement, Blaustein apprend que sa mère reçoit fréquemment la visite d’une vieille dame un peu perdue. Cela conduira à la découverte de lettres cachées dans le piano de la maison, qui le mèneront à Berlin et raviveront les souvenirs terribles de l’Allemagne nazie.
Magali Sauves lie tant bien que mal ces intrigues et on s’y perd un peu dans la densité du propos. Heureusement, l’originalité du regard l’emporte sur ce trop-plein de rebondissements.
Il faut dire que l’auteure a un grand sens de l’observation et une expérience de vie qui nourrit ses fictions,
160 rue Saint-Viateur Ouest étant son troisième roman.
D’origine française, née d’une mère juive tunisienne et d’un père catholique, Magali Sauves est arrivée au Québec en 2003. Pendant dix ans, elle a enseigné le français dans des écoles de la communauté hassidique. On comprend dès lors pourquoi tout sonne vrai, au premier chef la description du Mile-End, de la fabrique de bagels jusqu’au Dollarama !
Elle nous fait aussi croire sans peine à la possibilité qu’un jeune hassidique à l’éducation pleine de failles trouve la détermination nécessaire pour se former et devenir policier. Un oiseau rare, comme elle l’écrit !
Mais un oiseau qui dès lors voit les choses autrement, comprend à la fois le Québec moderne et les épreuves autrefois vécues par son peuple, peut faire des liens entre ces univers. C’est captivant.
Et évidemment, on attend la suite.