Le Journal de Montreal - Weekend
Ouvrir les yeux sur le problème des réfugiés
À travers l’histoire fictive de trois corps rejetés sur la plage d’une île, l’écrivain français Philippe Claudel s’est interrogé sur la question des réfugiés et sur la manière dont l’Occident y fait face. Son nouveau roman, L’Archipel du Chien, décrit comment différents personnages s’imaginent qu’en les faisant disparaître dans un volcan, le problème va s’envoler.
En entrevue, Philippe Claudel rappelle qu’il suffit d’observer le monde autour de soi et de voir « comment il va... ou comment il ne va pas » pour s’inspirer.
« Le problème des réfugiés, de l’exil, c’est quelque chose qui me poursuit depuis longtemps. J’avais déjà fait La
petite fille de Monsieur Lihn, qui était un roman qui traitait d’un exilé, d’un vieux monsieur qui quittait son pays et qui essayait de refaire sa vie. C’était aussi le sujet dans Le Rapport de Brodeck. Dans d’autres livres, j’en ai parlé aussi de façon plus anecdotique.
« Avec tous les drames qui se passent en Méditerranée, suite aux guerres en Libye et en Syrie, j’ai commencé à écrire cette histoire, pour une raison simple. Je me rendais compte que le travail que faisait la presse ne suffisait pas. On est informé des drames, des tragédies. Mais pour autant, ça continue et nous ne faisons rien à l’échelle d’une nation, à l’échelle d’un continent, pour accueillir dignement et humainement ces personnes.
« Je me suis dit que peut-être que la fiction, qu’un roman, avait un rôle à jouer parce que, quand on écrit un livre, et surtout quand on le lit, finalement, l’univers qu’il porte rentre sans doute plus profondément en nous et nous marque davantage que les informations dont nous sommes bombardés toute la journée et finalement qui ricochent sur notre peau sans nous atteindre en profondeur. »
Les personnages du roman – le maire, le curé, l’instituteur, la Vieille – font face à différents problèmes et doivent faire des choix.
« J’avais envie de faire un livre non pas sur le drame des migrants, mais sur la façon dont nous autres, qui sommes bien tranquilles, bien au chaud dans nos pays, nous avons encore l’illusion que notre vie va pouvoir continuer comme ça, dans une forme d’isolement de riches. »
Il poursuit sa réflexion. « J’avais envie de parler de notre aveuglement, de notre cécité, de notre désir de toujours tourner la tête de l’autre côté. Et je me suis dit, tiens, je vais prendre une petite communauté, puis un matin, je vais déposer trois cadavres sur la plage. Et je vais regarder un peu ce qu’ils font. »
LA MÉDITERRANÉE
Il voulait aussi faire une oeuvre littéraire. « Je voulais rattacher ce drame à quelque chose de plus fort que nous, et faire réfléchir les lecteurs sur cette mer, qu’on devine être la Méditerranée, qui est maintenant presque synonyme de mort.
« Je voulais montrer aussi que c’est un lieu de culture, là où est née notre civilisation occidentale. On vient tous de la Méditerranée. »
UNE FABLE
Philippe Claudel a construit son roman comme une fable. « Il y a beaucoup de références à la mythologie, à la Bible, à des textes fondateurs comme l’Enfer de Dante. C’était une façon aussi de composer sur un problème très contemporain, une épopée moderne. Je voulais montrer le destin misérable des hommes, la façon dont ils agissent souvent lâchement, ne pensant qu’à très court terme ou ne pensant qu’à leur petit bonheur. »
Les actions de certains dirigeants politiques lui font penser à celles des différents personnages de son île.
« Ils s’imaginent qu’en faisant disparaître trois cadavres dans un volcan, ils vont régler le problème. Alors que bien entendu, c’est faux. »
Philippe Claudel est écrivain, cinéaste et dramaturge. Ses romans sont traduits dans le monde entier. Il est membre de l’académie Goncourt. Il a bien hâte de revenir au Québec pour rencontrer ses lecteurs.