Le Journal de Montreal - Weekend
Les défis du métier vus par les artistes
À la belle époque des boîtes à chansons, les chansonniers faisaient la pluie et le beau temps. D’un village à l’autre, ils interprétaient les succès devant une salle comble qui en demandait toujours plus. Aujourd’hui, seule une poignée d’irréductibles pra
« Dans les années 1970, les 2 Pierrots se remplissaient sept soirs par semaine, se remémore le vétéran chansonnier Joe Leroux. Les gens pouvaient faire la file jusqu’au boulevard Saint-Laurent. Je grattais de la guitare dans la rue pour amuser les passants pendant que mon collègue jouait à l’intérieur. »
C’était l’époque où le Québec comptait près de 250 boîtes à chansons et où un bon interprète pouvait gagner facilement 1200 $ par semaine. Les temps ont changé. La vénérable institution du Vieux-Montréal n’est désormais ouverte que deux soirs par semaine, tandis que la plupart des boîtes ont disparu.
Marc-André Rioux, 29 ans, est né trop tard pour avoir connu cette période faste. « J’ai commencé dans le creux de la vague. Plusieurs tenanciers étaient réticents à laisser entrer des musiciens qui jouaient du québécois. J’ai reçu 100 $ pour mon premier show de chansonnier. Depuis, j’ai établi ma crédibilité et je peux demander plus, mais il faut constamment négocier son salaire. »
S’ADAPTER POUR SURVIVRE
Mariages, partys de bureau, centres pour aînés, restos-bars : pour continuer à vivre de leur musique, les chansonniers ont appris à diversifier leur répertoire et leur public. « Pour durer, tu dois posséder un répertoire pour chaque occasion. Si tu n’as que 80 tounes à offrir, tu passes à la trappe », observe Daniel Fontaine, un vieux routier.
Le public a aussi changé, constate Dany Pouliot qui roule sa bosse depuis 36 ans. « Je pouvais jouer du Harmonium pendant 15 minutes. Le monde t’écoutait les yeux fermés. Aujourd’hui, on te demande de chanter Despacito et souvent, le gars qui t’a demandé la toune est parti fumer ou regarde son cellulaire. »
GARDER LE CAP
Déclin ou pas, les chansonniers ont réussi à traverser bien des modes passagères, comme en témoigne la présence d’une boîte comme les 2 Pierrots. Fondé en 1974 par Robert Ruel, l’établissement garde le cap contre vents et marées. « Ce qui explique notre longévité est notre authenticité, résume-t-il. Notre recette a peu changé depuis notre ouverture : faire participer le public et présenter 70 % de contenu francophone. »
Incarnant la nouvelle garde du réputé bar, la fille du fondateur, Marilou Sciascia Ruel, conserve son optimiste face à l’avenir. « Évidemment, il faut rappeler notre présence aux gens, mais le fait que notre clientèle est composée de jeunes est encourageant. Certains amènent même leurs parents pour qu’ils redécouvrent la boîte où ils sortaient lorsqu’ils avaient leur âge. »
VERS UNE RENAISSANCE ?
D’autres, comme le chansonnier Daniel Blouin, prêchent plutôt pour un retour aux sources. « Ça fait 40 ans qu’on chante les mêmes succès. Le chansonnier doit revenir à ce qu’il était au commencement : un parolier. C’est la seule façon d’assurer la pérennité des boîtes à chansons. On doit créer la prochaine vague, sinon on coule ! »
De l’avis du professeur de musicologie à l’UQAM, Danick Trottier, il s’agit d’une question de temps avant qu’une nouvelle génération de boîtes à chansons et de paroliers émerge. « De nos jours, le chansonnier seul devant la foule n’a plus nécessairement la cote face aux humoristes et aux spectacles multimédias, mais ça va revenir. C’est cyclique. Il est possible que les auteurs-compositeurs-interprètes de la relève qui peinent à joindre les deux bouts inventent un espace à leur image. Encore faut-il que le public soit au rendez-vous. »