Le Journal de Montreal - Weekend
DRÔLE D’ÉPOQUE
« C’était pas comme ça dans mon temps… » Combien de fois n’a-ton pas entonné ce refrain pour se plaindre de certaines tares de la jeunesse d’aujourd’hui ?
Manque de culture, manque d’intérêt et de curiosité, manque d’audace, paresse physique et intellectuelle, superficialité, individualisme, etc. Les jeunes d’aujourd’hui semblent souffrir de tous ces maux, alors que nous, nous, nous, dans notre temps, c’était autre chose… Comme si nous n’étions pas partie prenante de cette époque décriée, comme si nous n’étions pas responsables de la tournure des événements. Comme si notre passé avait été glorieux. « L’époque, c’est les autres ; c’est tout ce que nous n’aimons pas de nous-mêmes et désirons projeter sur une entité externe pour l’en punir », attitude que l’auteur, ex-professeur de philosophie, appelle la « modophobie », un néologisme qu’il a inventé pour dire le rejet du moment.
L’auteur évoque la vie de Miley Cyrus, une jeune star dont on a tous plus ou moins entendu parler. Cette chanteuse incarne la jeunesse et la séduction qui l’accompagne, et à travers elle, l’auteur s’interroge sur le rapport au succès, aux réseaux sociaux, aux relations interpersonnelles de cette même jeunesse.
L’histoire de Miley Cyrus sert donc de prétexte. À peine sortie de l’adolescence, cette pop star deviendra vite un sex-symbol. Ses vidéos, suggestives et provocatrices, seront vues des millions de fois. On lui reprochera ses écarts de conduite. Et on conclut que « quoi que fassent les jeunes, ils ne sont jamais jeunes de la bonne façon ». Or, cela a toujours été ainsi, à toutes les époques, nous dit l’auteur. Les provocations de Miley interpellent notre conformisme, comme nous le faisions à notre époque avec nos parents, en nous laissant pousser les cheveux « à la Beatle » ou en pratiquant l’amour libre sous le regard réprobateur des adultes. À ceux qui la regardent, en cachette ou pas, la chanteuse « leur donne envie d’un élixir qui choque surtout ceux qui ne peuvent plus y goûter ».
En fait, la jeunesse a toujours fasciné. « Il semble bel et bien y avoir un critère intemporel : est beau ce qui est jeune. » On le constate surtout chez les actrices, les chanteuses et le personnel télévisuel où les femmes vieillissantes n’ont guère plus leur place et à qui « on laisse un choix bien peu enthousiasmant : la désuétude de la vieillesse naturelle ou le ridicule de la chirurgie plastique… »
En fait, nous nous préoccupons davantage de nos propres performances en la matière que celles des autres qui nous entourent. On compense l’inévitable déchéance occasionnée par le poids des années par l’achat de beaux vêtements, une teinture, un abonnement au gym qui nous rendront, devant notre miroir, « beaux ou belles pour notre âge ». Quant à notre sexualité, elle ne sera jamais semblable à celle de Miley et les artifices n’y pourront rien, même si dans notre tête, on a encore vingt ans. On a beau se consoler en se persuadant que les jeunes seront fatalement les vieux de demain, mais en attendant, les jeunes nous disent qu’ils nous emmerdent.
NOUVEAU MILLÉNAIRE
L’auteur propose huit trucs pour devenir « un bon modophobe ». Il s’agit surtout d’expressions que nous utilisons fréquemment, presque inconsciemment, comme « de nos jours » ou « de plus en plus », comme dans la phrase « de nos jours, les gens sont de plus en plus égoïstes » ou encore « de nos jours, les jeunes sont déconnectés des vraies valeurs ». On laisse supposer qu’hier, c’était beaucoup mieux qu’aujourd’hui.
Tout bon modophobe se doit de mépriser la culture populaire pour passer pour un génie. Là aussi un mode d’emploi s’impose, comme simuler triompher facilement parce qu’on est un génie, un touche-à-tout à qui tout réussit. Aussi « singer la folie ou prendre beaucoup de drogues pour avoir un comportement imprévisible comme Jean Leloup ». On ne cherche plus à plaire, mais bien à impressionner.
Finalement, comment vivre en vieillissant dans la joie ? Accepter son époque, tout simplement, avec ses défauts et ses qualités. Surtout ne pas faire du passé un paradis perdu comme dans la chanson
En famille du groupe Mes Aïeux.