Le Journal de Montreal - Weekend

QUEL BEL APPRENTISS­AGE !

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Que de bêtises marquent l’adolescenc­e, mais que de sublime aussi ! Encore faut-il savoir le faire voir. Le roman de Benoît Côté est à cette hauteur-là.

On pourrait être partout au Québec tant Samuel est un jeune typiquemen­t issu de la vie ordinaire et typiquemen­t en quête de plus grand que soi. Mais dans Récolter la tempête, on est à Saint-Hyacinthe, entre 1995 et 1998 – entre le référendum et la crise du verglas.

Autour de Samuel, 15 ans, tournoie son père, Américain qui a fui la guerre du Vietnam, sa mère, sa bande d’amis, des filles, de la parenté, et le spectre d’un oncle qui, quelques années plus tôt, s’est suicidé.

Le roman s’ouvre sur cet oncle pas comme les autres, qui vivait dans une cabane dans le bois, maison familiale dorénavant fréquentée par Samuel et son père. Y traînent des boîtes qui un

jour intriguent assez l’adolescent pour qu’il les ouvre. À l’intérieur, des livres « qui ne semblaient même pas appartenir à la même race d’objets que les bandes dessinées que je lisais – quand je lisais ! » : des livres de philo.

Dès lors, un monde s’ouvre à lui – Platon, Wittgenste­in, Nietzsche… – et tout le roman en sera imprégné, d’où ses trois divisions : La caverne, Le roi philosophe, La République.

Mais, et c’est là le charme de ce roman, Samuel, intellectu­el naissant, reste un ado comme les autres, qui fume, boit et multiplie les blagues grossières avec ses amis ; qui regimbe face au travail d’été ; qui tombe amoureux une fois puis encore une autre.

En plus, tout l’exaspère : la vie plate à Saint-Hyacinthe, les insupporta­bles partys de famille, le conformism­e de son entourage, la découverte des classes sociales où les riches s’extasient sur le sauternes pendant que les autres calent leurs bières… C’est décrit avec autant de férocité que de réalisme, à la fois déprimant et jubilatoir­e.

Déjà cela donne un intéressan­t roman d’apprentiss­age. Mais on y trouve en plus le Québec de ces années-là, décrit avec une précision qui ancre ce récit dans notre histoire à tous. Marie-Soleil Tougas meurt avec Jean-Claude Lauzon, internet arrive,

Les Boys triomphe, Beau Dommage appartient à la nostalgie.

Dans les dialogues, Benoît Côté reprend même comme telle la langue des jeunes d’il y a vingt ans, oralité qui exige de l’attention en la lisant sur papier. On regrettera toutefois que les échanges en anglais entre Samuel et son père, qui courent sur des pages, ne soient pas traduits.

Le roman se termine en janvier 1998. Samuel se retrouve dans la cabane dans les bois avec son amoureuse et ses amis. Isolée, la bande d’ados est tenue de faire face ensemble au terrible et inattendu verglas, dans un contexte de fin du monde. Est-ce l’occasion d’en démarrer un nouveau, comme en rêve Samuel ?

Ce moment, finement raconté, constitue la partie la plus forte d’un roman qui l’est déjà beaucoup. C’est pourtant le premier de l’auteur, d’abord musicien et compositeu­r. Soufflant.

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RÉCOLTER LA TEMPÊTE Benoît Côté Triptyque 338 pages 2018
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