Le Journal de Montreal - Weekend

CE QU’ILS ONT FAIT...

À la lecture de Ka Pi Icita8atc (Ce qu’ils ont fait), je demeure perplexe. En réalité, je ne sais plus que penser.

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

D’un côté, je suis horripilé à l’idée que des policiers de la Gendarmeri­e royale du Canada venaient chercher à leur domicile des jeunes en âge scolaire pour les emmener loin de leur famille, au pensionnat Saint-Marc-de-Figuery, au sud de la ville d’Amos, administré par la congrégati­on religieuse des Oblats, afin qu’ils soient scolarisés. D’un autre côté, on devrait se réjouir que l’éducation soit accessible à tout le monde, sans exception. Mais pas nécessaire­ment de la façon que cela s’est fait.

La majorité des dix-sept anciens élèves de ce pensionnat, qui ont été interviewé­s pour les besoins de cette étude réalisée par des chercheurs autochtone­s, semblent tous avoir apprécié leur séjour de quatre, cinq et même dix ans dans cette institutio­n, malgré la discipline sévère et certains abus dont on ne nous parle guère malheureus­ement.

Le but caché était d’assimiler rapidement les jeunes Autochtone­s, en faire de bons Blancs, qui parlent français ou anglais ailleurs au Canada. D’ailleurs, le rituel d’entrée au pensionnat ressemble fort à une entrée en prison. On te donne un numéro pour te faire oublier qui tu es, on te remet un uniforme en te quittant tes vêtements pour mieux briser ta personnali­té, on te rase le crâne pour des raisons d’hygiène, on te sépare de la fratrie, on te classe selon le sexe, les gars avec les gars et les filles avec les filles, etc.

TRAUMATISM­ES

Malgré un taux de réussite particuliè­rement élevé, « 95 % des Indiens d’âge scolaire du pays étaient scolarisés, en 1966-1967 », on décida de fermer ces pensionnat­s administré­s par des religieux et de remettre le contrôle de l’éducation aux bandes amérindien­nes. Certains pensionnat­s demeurèren­t ouverts jusqu’en 1991, comme celui de Pointe-Bleue, « à la lumière des bons résultats scolaires obtenus par les jeunes Innus qui fréquentai­ent l’institutio­n ». Il faut savoir que ce pensionnat embauchait du personnel majoritair­ement autochtone.

Cette expérience de scolarisat­ion forcée loin des familles a entraîné immanquabl­ement des traumatism­es. L’une des élèves rappelle comment les religieuse­s lui ont tiré les oreilles au point de les lui arracher. Ces abus faisaient en sorte que plusieurs pensionnai­res fuguaient et ce sont, encore une fois, les policiers qui les ramenaient au pensionnat.

Bien sûr, dans la majorité des cas, les parents étaient d’accord avec le projet éducatif. « Tu vas apprendre des choses que moi je ne peux pas te montrer. » Ou : « Si tu vas à l’école, tu vas savoir lire et écrire le français. » Ou encore : « Un jour, il va falloir que tu fasses autre chose que chasser pour faire vivre ta famille. » Mais ils étaient loin de se douter de ce qui se passait derrière ces portes closes. Et lorsqu’ils l’apprenaien­t, certains pères cherchaien­t à les sortir de force. Une des façons légales consistait à marier leur fille lorsqu’elle atteignait l’âge légal de seize ans.

Quoi qu’il en soit, il appert, malgré tout, que « le parcours de toutes ces personnes [les dix-sept élèves du pensionnat SaintMarc-de-Figuery] fut orienté par leurs apprentiss­ages scolaires ». Ils militent tous au sein de leurs communauté­s, entre Amos et Val-d’Or et sont fiers de contribuer au maintien de leur culture et de leur langue.

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KA PI ICITA8ATC/ CE QU’ILS ONT FAIT Bruno Sioui, Marguerite Mowatt-Gaudreau et Julie Mowatt Éditions Carte Blanche
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