Le Journal de Montreal - Weekend
Le surmenage au coeur de la discussion
Avec son nouveau film Burn Out ou la Servitude Volontaire, le cinéaste Michel Jetté souhaite brasser la cage pour ouvrir les discussions sur le problème du surmenage au travail. « On sait que Burn Out va être controversé. On a hâte de rentrer dans les déb
Tourné de façon indépendante il y a quatre ans, Burn Out ou la Servitude
Volontaire nous plonge dans le quotidien d’un couple qui a du mal à composer avec la pression et le stress de leur environnement de travail.
D’un côté, Michelle (Jézabel Drolet), une jeune femme ambitieuse qui travaille dans une banque, est pressentie pour remplacer sa directrice qui vient de partir pour épuisement professionnel. De l’autre, il y a son chum Louis (Emmanuel Auger), qui suit une formation comme technicien pour une compagnie de télécommunications et qui a du mal à suivre le rythme effréné imposé par ses patrons. Étouffés tous les deux par la pression, ils verront leur vie de couple et leur santé mentale s’aggraver de jour en jour.
Après s’être penché sur l’univers des motards (dans le film Hochelaga, sorti en 2000) et sur celui du milieu carcéral (dans Histoire de pen, paru en 2002), Michel Jetté a eu l’idée de se pencher
sur le problème de la dépression et l’épuisement professionnel il y a près de dix ans. Or, si Burn Out a été écrit il y a déjà quelques années, son sujet demeure malheureusement très actuel.
« Encore cette semaine, un des acteurs du film m’a appelé pour me dire : as-tu vu les manchettes dans le journal ? », relate Michel Jetté en entrevue au Journal.
« L’article en question annonçait que le burn-out, l’épuisement professionnel et la dépression nerveuse avaient atteint un niveau d’épidémie. Donc, depuis que j’ai écrit le scénario de ce film, la situation ne s’est pas améliorée. Je crois même au contraire qu’elle a empiré.
« Le film est le résultat de plusieurs années de recherches, poursuit le cinéaste. J’ai réalisé aussi un paquet d’entrevues avec des gens de différents milieux professionnels. Ce qui a motivé ces recherches-là, en ce qui me concerne, c’est que dans les années 2006-2008, il y a eu une hécatombe autour de moi. Des gens tombaient comme des mouches à la suite de burn-out. Des gens de tous les milieux, tant des ouvriers que des professionnels, des cadres et des artistes. Et certains commettaient des tentatives de suicide au bout de cela. Je me suis dit qu’il se passait quelque chose qui était plus gros que simplement de l’épuisement professionnel. » AU PIED DU MUR
Ce n’est pas un hasard si Jetté a situé l’intrigue de son film dans des milieux de travail assez précis, soit une banque et une compagnie de télécommunication.
« Selon les recherches que j’ai menées, les conditions de travail dans les banques sont très difficiles, souligne-t-il. Ils mettent les employés en compétition les uns contre les autres. C’est très exigeant dans le milieu des télécommunications aussi.
« Il y a eu à un moment donné un changement dans la culture du travail qui fait que les gens sont souvent mis au pied du mur et qu’ils sont souvent mis sous pression quant aux résultats et aux objectifs. Tout cela a fait du milieu de travail quelque chose de potentiellement malsain. Mais ce qui s’est rajouté à cela, et qui est fondamental, c’est le fait que le burn-out est une danse à deux. Si une personne se dirige vers un épuisement professionnel, c’est qu’il y a une part d’elle qui accepte ces conditions. Au
début, cette personne n’est pas trop consciente du fait qu’elle est en train de vider ses réserves. Mais à un moment donné, il y a un crash. »
Dans son film, Michel Jetté établit d’ailleurs un parallèle entre le phénomène du burn-out et Le Discours de la
servitude volontaire, un ouvrage rédigé par l’écrivain et poète français Étienne de La Boétie en 1574.
« Le discours d’Étienne de La Boétie démontre que cette propension de l’être humain à s’asservir pour des intérêts de sécurité n’a pas changé, observe le cinéaste. On dirait même qu’il a été écrit l’an passé. L’idée de la servitude volontaire est que l’être humain s’asservit par conditionnement et par peur. On peut comprendre : personne n’a envie de perdre sa job et de se retrouver dans une situation d’insécurité financière. Mais ça nous amène à un point où on agit contre soi même. On va carrément accepter des conditions qui nous rendent malades alors qu’on sait très bien qu’elles nous rendent malades. C’est ça qu’on voulait aborder avec Burn Out. » Le film Burn Out ou la Servitude Volontaire a pris l’affiche hier.