Le Journal de Montreal - Weekend
UNE VIE DE PASSION ET DE THÉÂTRE
Homme entier, ardent défenseur du théâtre et de sa langue maternelle, Gilles Pelletier est une figure marquante de la culture québécoise, tant par l’intensité de son jeu que par son regard profond et cette voix reconnaissable entre toutes. Mort à 93 ans a
STEVE MARTIN Agence QMI
Né à Saint-Jovite, le 22 mars 1925, Gilles Pelletier ne se destinait pas du tout à une carrière théâtrale, mais rêvait plutôt de devenir marin et de faire le tour du monde. À l’âge de 14 ans, il s’était même engagé à bord d’un cargo avant de s’enrôler auprès des Forces navales françaises libres durant la Deuxième Guerre mondiale. C’est à son retour à Montréal que sa soeur, la comédienne Denise Pelletier, l’a poussé à suivre des cours de jeu avec Sita Riddez.
S’il lui a fallu quelques années avant de se sentir assez à l’aise pour monter sur scène, Gilles Pelletier est devenu, à la fin des années 1950, un incontournable du milieu pour son interprétation d’un homme de 70 ans, le capitaine Aubert, dans le feuilleton Cap-aux-Sorciers, mais aussi pour son jeu inoubliable dans la dramatique Un
simple soldat, de Marcel Dubé, diffusée en direct en 1957 sur les ondes de Radio-Canada.
« Ça m’a permis d’aller très loin au fond du désespoir et de la misère humaine, et dans une pièce qui est unique dans le répertoire québécois. Une pièce épique », avait-il souligné. DE HITCHCOCK À BROADWAY
En profitant d’une occasion exceptionnelle, l’acteur a également joué durant cette période aux côtés de Montgomery Clift dans le film
I Confess (1953), d’Alfred Hitchcock, tourné à Québec. Dans les années 1960, il a fait ses débuts à Broadway dans la pièce P.S. I Love You, dans laquelle il partageait la scène avec la future lauréate d’un Oscar, Geraldine Page.
En 1964, il fondait la Nouvelle Compagnie Théâtrale avec Georges Groulx et celle qui a été sa conjointe jusqu’à son décès en 2014, la comédienne Françoise Graton. L’objectif était d’initier les jeunes aux grands classiques de la dramaturgie. M. Pelletier dirigea d’ailleurs la compagnie jusqu’en 1982, après avoir signé nombre de mises en scène, dont Don Juan, de Molière, Le roi se meurt, de Ionesco et La
Mouette, de Tchékhov. Après avoir fait son nid dans les locaux du Gesù de Montréal, où
elle est restée durant 13 ans, la compagnie a déménagé dans l’ancien Granada et est devenue le Théâtre Denise-Pelletier, en hommage à la soeur de Gilles, décédée prématurément en 1976.
Après s’être fait rare à la télé dans les années précédentes, le comédien y est revenu en force en 1987, en incarnant Xavier Galarneau, le redoutable patriarche d’un clan déchiré dans L’héritage, de Victor-Lévy Beaulieu.
« J’étais intimidé par la présence et la force de cet homme, a admis ces derniers jours Yves Desgagnés, qui lui donnait la réplique. Quand il me regardait dans les yeux et qu’il me criait “Junior!”, des fois, je devenais faible et il fallait reprendre la séquence. (…) J’ai comme l’impression que c’est mon deuxième père qui vient de partir et ça me fait une vraie peine. »
C’est d’ailleurs Yves qui a annoncé publiquement le décès de l’acteur via les réseaux sociaux la semaine dernière.
« Triste jour, a-t-il écrit. Le chêne est tombé. Mon père adoptif de L’héritage est décédé. Toutes mes sympathies à la famille de Gilles Pelletier. »
Au fil des ans, en plus du théâtre, le public a entre autres pu admirer son talent dans les séries La famille Plouffe, La Côte de sable, Rue de l’Anse, Cormoran, Sous un ciel variable et Toute la vérité. Au cinéma, Gilles Pelletier faisait partie des acteurs fétiches du réalisateur Denys Arcand, ayant joué dans Jésus de Montréal, Les invasions barbares et, plus récemment, L’âge des ténèbres. JUSQU’À LA TOMBÉE DU RIDEAU
En plus de sa mission de faire connaître et apprécier le théâtre au plus grand nombre de personnes possible, l’homme était aussi un ardent défenseur de la langue française.
« Gilles, c’est un homme qui aimait profondément le Québec, a dit à son sujet Yves Desgagnés. C’était un grand de notre nation. »
M. Pelletier a été hospitalisé durant quelques jours, éprouvant des signes de faiblesse inhabituels, avant de décéder de causes naturelles, le 5 septembre. Selon les membres de sa famille, il a parlé de théâtre jusqu’à ses derniers moments. Il laisse dans le deuil sa fille, Claude, et son fils, Simon, ses quatre petits-enfants, ses neveu et petit-neveu, ses parents et proches, de même que nombre de comédiens pour qui il a été un modèle.