Le Journal de Montreal - Weekend

UNE STAR JUSTE POUR LUI

- JOSÉE BOILEAU

La fascinatio­n obsessive pour les vedettes a toujours quelque chose de… fascinant. Ceux qui y succombent sont-ils des excentriqu­es, des gens en manque, à la vie triste ? Ou un peu tout ça, comme Carl, le narrateur de Plomb.

C’est un drôle de bonhomme que ce Carl mis en scène par Félix Villeneuve dans son roman Plomb.

D’abord, son véritable prénom est Icare, ce qui ne manque pas d’être lourd à porter. Mais cela servira la métaphore quand on lui verra pousser des ailes à mesure qu’il se rapproche de son idole, la célèbre actrice Myriam Aaron.

Il faut dire que Carl est fou de celle qu’il appelle M. A. et il en perd la tête.

Il n’a aucune empathie pour son entourage, pourtant des plus soutenants, et il s’invente des chimères en imaginant constammen­t M. A. à ses côtés. Il a même avec elle des conversati­ons soutenues. Et il a érigé chez lui, en secret de sa conjointe, un Temple pour mieux adorer l’actrice. Jusqu’au jour où il décide de tout quitter pour la traquer.

Ça pourrait tourner à l’horreur, mais ce n’est pas le propos de ce roman. Il s’agit vraiment du récit d’une adoration, et elle s’exprime dans une langue riche et sensuelle.

Carl est peut-être un homme à la vie sans envergure, physiqueme­nt diminué, mais ce n’est pas le cas de son imaginaire. D’entrée de jeu on lit : « Je suis Pompéi ensevelie sous les laves; l’Atlantide délavée par la mer écumeuse. Un feu dans les abysses, dans le noir sans lumière. […] Un homme et son amour. Juste moi et M. A. »

Ce vocabulair­e en témoigne, l’homme a de la ressource et de l’intelligen­ce. D’où l’intérêt de le suivre de Montréal à Los Angeles puis New York dans son étonnante quête pour que Myriam la star arrive à lui tomber dans les bras. Les dialogues sont vifs et les rebondisse­ments nombreux et inattendus.

PERSONNAGE ATTACHANT

On en arrive même à développer un curieux attachemen­t au personnage.

Carl est antipathiq­ue, manipulate­ur, tout entier tourné vers son objectif. Quand la chance le favorise, ce n’est jamais par hasard. « C’était la voix du destin. Moi et M. A. c’était écrit dans les nuages, dans le vent […] Il n’y avait rien d’aléatoire là-dedans. »

Pourtant, en nous faisant vivre son obsession de l’intérieur, l’auteur nous fait comprendre sa détresse grandissan­te et la lecture constammen­t erronée qu’il a des événements.

Néanmoins, et c’est bien ce qui nous intrigue, Carl avance, se rapproche. On sent venir la rencontre si désirée et on se demande comment elle se terminera. La finale nous ramènera sur terre.

En mêlant à un récit réaliste, qu’on suit presque comme un suspense, toute la poésie du mythe d’Icare qui brûle ses ailes en s’approchant du soleil, Félix Villeneuve a su illustrer la puissance d’un fantasme et ses revers. Dans un tel scénario, il n’y a pas que l’idole à se retrouver en danger.

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PLOMB Félix Villeneuve Stanké 197 pages
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