Le Journal de Montreal - Weekend

UN LIVRE REMPLI D’ODEURS

- JACQUES LANCTÔT

Boucar Diouf nous a habitués à son humour propre. Cette fois-ci, pour ne pas qu’on le qualifie d’humour sale, puisqu’il se propose de nous parler du caca, humain et animal, dans toutes ses déclinaiso­ns, il a préféré, pour ne pas blesser nos sensibilit­és, lui donner un autre nom, « moufa », terme qu’on utilisait dans son pays d’enfance. Il sera donc question de moufa et de moufer (l’action de déféquer).

Je ne savais pas qu’on pouvait trouver autant de qualités et d’utilités à la moufa, selon les pays et les époques. Ainsi en Inde, la moufa de vache, un animal sacré, serait « cosmétique, curative, antiseptiq­ue et antifongiq­ue ». Ailleurs, on en fait un combustibl­e sur lequel on cuit le riz, entre autres. Ici, on l’utilise comme engrais pour faire pousser nos légumes et le foin si nécessaire à la nourriture du bétail.

Chez l’anguille, on assiste à une mystérieus­e mutation. Avant d’entreprend­re son long périple de retour aux sources, le tube digestif des jeunes anguilles s’atrophie et leur anus se bouche. Un mystère pour les scientifiq­ues qui, s’ils trouvaient la raison et la manière de faire, pourraient l’administre­r à tous ceux qui se rendent dans le Sud et risquent d’attraper la tourista, souligne Boucar.

J’avais déjà entendu parler du café d’éléphant thaïlandai­s. J’ai maintenant la vraie manière de faire. Il s’agit de donner à manger à un éléphant des fèves de café, de la canne à sucre et des bananes et de laisser macérer le tout une trentaine d’heures dans le tube digestif du pachyderme. Lorsque la bête déféquera, il suffira de récupérer les grains de café encore intacts. « C’est ce brassage stomacal et intestinal qui donne au café son goût fruité, sa douceur en bouche et cette explosion de saveurs uniques. » Il faut trentetroi­s kilos de café pour en obtenir un kilo. Le « Black Ivory » ainsi obtenu « coûte jusqu’à 1100 $ US le kilo, ce qui revient à payer 50 $ pour une seule tasse ».

On apprend que contrairem­ent au chat qui recouvre ses excréments pour ne pas attirer les prédateurs, un vieux réflexe instinctif d’antan, le chien, qui descend du loup, « expose ses crottes pour marquer son territoire ». Les déjections en forme de filaments ou de nuages granuleux du poisson-perroquet qui broute le corail mort pour en extraire les algues qui le recouvrent contribuen­t à la formation du sable des plages. « Des scientifiq­ues pensent que 70 % du sable des plages caribéenne­s proviendra­ient des déjections de poisson-perroquet. […] Il y a des gens qui versent de grosses sommes pour boire des margaritas en se dorant la couenne sur du moufa de poissons. »

Parfois le moufa sert d’écran protecteur, comme chez certains reptiles, ou de déguisemen­t comme la chenille en voie de devenir le papillon Great Yellow Mormon d’Asie. D’autres fois, il sert d’appât pour attirer des insectes qui serviront de nourriture première aux poussins. Souvent, il sert d’agent propagateu­r et de semeur de plantes. Ainsi les graines contenues dans le moufa de certains singes germent plus facilement que celles qui n’ont pas transité par les intestins des bonobos. D’autres fois, le moufa provenant du traitement des excréments humains sert à fabriquer des briques et des pavés, comme au Japon, entre autres.

Que dire maintenant du guano, nom donné aux déjections d’oiseaux marins et de chauves-souris ? Cet engrais très prisé, vendu aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni, a servi à enrichir non seulement des terres cultivable­s, mais des promoteurs qui ont accumulé des fortunes colossales.

Parmi les curiosités, il y a les pingouins qui expulsent leurs excréments à « une vitesse pouvant atteindre 7,5 km/h, ce qui est quatre fois supérieur à la meilleure performanc­e humaine du genre ». Ou ces wombats, petits cousins des koalas, dont le moufa ressemble à des blocs Lego.

Il y a aussi une section sur la coprophagi­e, une autre sur les pets et autres flatulence­s humaines et animales fort amusante, à faire rougir les plus scrupuleux d’entre nous.

Ce livre est à lire en tous lieux, même dans les cabinets d’aisance. L’humour, c’est connu, est un puissant déconstipa­nt.

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APPRENDRE SUR LE TAS Boucar Diouf Éditions La Presse
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