Le Journal de Montreal - Weekend

UNE SURPRENANT­E BALADE EN FORÊT AVEC RICHARD POWERS

En lice pour le Man Booker Prize (suspense, on saura d’ici quelques jours s’il va le remporter ou non !), le nouveau Richard Powers plonge brillammen­t aux racines du monde végétal.

- KARINE VILDER

Autant le dire tout de suite : à nos yeux, Richard Powers est l’un des plus grands écrivains américains contempora­ins. Il n’y a qu’à lire Le temps où

nous chantions ou La chambre aux échos (qui a reçu en 2006 le National Book Award) pour en avoir rapidement la preuve. Eh oui, avec ce 12e roman, il a une fois de plus réussi à nous subjuguer en plantant l’essentiel du décor en plein bois… et en nous permettant réellement de voir autrement tous les arbres qui nous entourent.

« Quand j’ai commencé à écrire ce livre qui a complèteme­nt changé ma vie, j’étais incapable de faire la différence entre un chêne, un hêtre ou un noyer, souligne-t-il lors de l’entretien téléphoniq­ue qu’il nous a accordé vers la mi-septembre. J’ai donc lu plus d’une centaine d’ouvrages sur le sujet et de ce fait, j’ai été très étonné d’apprendre qu’en Amérique du Nord, presque toutes les forêts originelle­s avaient été abattues, l’une des dernières à subsister aux États-Unis se trouvant dans le parc national des Great Smoky Mountains. Par curiosité, j’ai tenu à aller la visiter et entouré d’arbres comptant entre 500 ou 600 ans et mesurant parfois près de 60 mètres, je me suis tout de suite senti bien, l’odeur, la lumière, la végétation et la faune y étant différente­s. »

Résultat ? Richard Powers a peu après quitté la Californie pour s’installer au Tennessee dans une petite ville située non loin des Great Smoky Mountains. « Ensuite, le plus dur a été de quitter les sentiers du parc afin de retourner à mon bureau et de poursuivre la rédaction de L’arbre-monde ! » ajoute-t-il avec un sourire dans la voix.

NEUF PERSONNAGE­S ATTACHANTS

Dès sa parution en anglais, au printemps dernier, de nombreux journalist­es ont cherché à savoir si L’arbremonde avait surtout été écrit pour dénoncer les coupes à blanc massives de l’industrie forestière ou amener les lecteurs à militer activement contre ce genre de pratique. « Mon but était nettement plus modeste, confie Richard Powers. J’ai seulement voulu inciter les gens à tourner les pages du livre et, éventuelle­ment, les inviter à ne plus considérer comme acquises toutes les merveilles de la nature, celles-ci pouvant être rasées du jour au lendemain. » Dans la première partie intitulée « Racines », Richard Powers introduira ainsi sept personnage­s solitaires et un couple de nouveaux mariés issus de milieux totalement différents qui, sans le savoir, seront bientôt appelés à se rencontrer de près ou de loin. Et si on a d’emblée eu un faible pour Nicholas Hoel, le lointain descendant d’un immigré norvégien ayant planté en Iowa l’un des rares châtaignie­rs du pays à avoir survécu à une épidémie mortelle, on a également beaucoup aimé Douglas Pavlicek, un vétéran de la guerre du Cambodge qui se recyclera dans la plantation d’arbres, Olivia Vandergrif­f, une étudiante aussi égoïste que dissipée qui changera du tout au tout le jour où elle sera confrontée à une expérience de mort imminente, ou Patricia Westerford, le personnage central du roman. Fascinée par les plantes depuis sa plus tendre enfance, Pat sera en effet la première botaniste à affirmer que les arbres sont des créatures sociables capables de communique­r entre elles. Mais la communauté scientifiq­ue n’étant pas encore prête à entendre parler de ce genre de découverte, elle sera, hélas, rapidement discrédité­e...

TERREAUX FERTILES

Avec les parties suivantes (« Tronc », « Cime » et « Graines »), on plongera entre autres tête première dans le monde hasardeux des activistes écologique­s, empêcher l’industrie forestière de transforme­r en planches des arbres parfois presque millénaire­s pouvant souvent se révéler bien plus difficile et dangereux qu’on ne le pense. Dans l’espoir d’épargner grappins et bulldozers à un séquoia patrimonia­l de 70 mètres de haut, Nicholas et Olivia n’hésiteront pas, par exemple, à squatter pendant des mois ses branches les plus hautes !

« C’est Orfeo, mon précédent roman, qui a semé en moi les grandes lignes de L’arbre-monde, explique Richard Powers. En y racontant l’histoire d’un vieux compositeu­r qui sera accidentel­lement pris pour un terroriste, j’ai en effet été curieux de comprendre ce qui pouvait pousser certaines personnes à franchir la ligne pour faire valoir leurs opinions. Je me suis donc intéressé aux activistes écologique­s et pendant près de six ans, j’ai eu beaucoup de plaisir à les côtoyer. Quand on est écrivain, le secret est de tomber en amour avec chacun de nos sujets, parce que c’est ce qui nous permet d’y consacrer un très, très grand nombre d’heures. »

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L’ARBRE-MONDE Richard Powers, aux Éditions le cherche midi, 540 pages
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