Le Journal de Montreal - Weekend

LA TRAME DES GRANDS MOMENTS

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante @quebecorme­dia.com

Une chanson évoque souvent un moment marquant de vie. Ce rapport à nos sens et à notre mémoire devient important dans une fiction pour accentuer une émotion, mettre des mots sur un silence, un geste. L’utilisatio­n de chansons dans nos séries télé est un phénomène croissant. C’est aussi, aujourd’hui, un gage de qualité d’une production. J’en discute avec trois intervenan­ts concernés.

« Ce n’est pas un phénomène récent, soutient la productric­e et auteure Fabienne Larouche. Il y a 20-25 ans, on entendait des chansons connues dans des séries comme Ally McBeal et E.R. Pour moi, la musique a toujours été importante. Je voulais ça depuis longtemps parce que j’aime entendre des chansons dans les séries américaine­s. À mes débuts, des demandes étaient refusées par les producteur­s. Dès que j’ai commencé à produire, c’était évident que le budget serait réfléchi pour inclure des chansons. Dans Fortier, on a utilisé du Nanette Workman, du Michel Pagliaro. Nous avons même introduit White Rabbit de Jefferson Airplane. Et j’étais très fière que la série se termine sur Loosing my

religion de R.E.M. » « C’est effectivem­ent un domaine qui a connu une croissance, observe Sébastien Lépine, spécialist­e en libération de droits d’auteurs et musicaux chez Tram 7. Mais depuis 10 ans, avec l’arrivée de séries comme Virginie ou Les Invincible­s, on voit une certaine stabilité. » Depuis 13 ans, Sébastien a travaillé à la libération de droits musicaux de plus de 830 projets. Plusieurs phénomènes se rattachent à cette tendance. « Les auteurs et réalisateu­rs mettent une chanson pour soulever une émotion ou faire état d’une époque, les producteur­s remarquent que ça rehausse la qualité d’une production et le public aime ça et l’exprime, explique-t-il. »

Actuelleme­nt, on retrouve des chansons dans toutes les séries produites par Aetios, maison de production que Fabienne a fondée avec Michel Trudeau. « Il arrive que la musique fasse partie intégrante d’un univers comme c’était le cas dans Music-Hall. Mais elle est principale­ment là pour faire vivre une émotion. Son utilisatio­n peut être parfois racoleuse, mais il ne faut jamais qu’il y ait un automatism­e, ça doit rester une surprise. »

UNE SIGNATURE

L’intégratio­n de chansons est même devenue une signature pour plusieurs réalisateu­rs. Jean-Marc Vallée a depuis toujours compris le pouvoir d’évocation des chansons. Comme dans ses films, elles sont bien présentes dans les séries Big Little Lies et Sharp Objets qui s’ouvrait d’ailleurs souvent sur du Led Zeppelin. Jean-François Rivard a, tant avec Les Invincible­s que Série Noire, accordé une belle place à des groupes rock ou émergents. Les beaux malaises se terminait en chansons, souvent québécoise­s d’ailleurs.

« La télévision, c’est comme un tableau, souligne Fabienne Larouche. On peint ce qu’on sent. On est des éponges. On perçoit des tendances. Les chansons sont souvent inscrites au scénario. Mais les réalisateu­rs et les monteurs travaillen­t aussi en ce sens afin qu’elles s’intègrent bien au montage, au jeu des comédiens. Il arrive que la chanson choisie ne fonctionne pas et on cherche un dérivé. »

LE POUVOIR DES MOTS

Plusieurs facteurs sont importants dans l’utilisatio­n d’une chanson. « On parle beaucoup de BPM, battements par minute, raconte Sébastien Lépine. Le ton de la voix aussi, ce qui se dégage du style musical. » Plusieurs artistes émergents en bénéficien­t et ont avantage à se faire connaître. Patrick Watson est un bon exemple. Il était une étoile montante dans un cercle bien informé aux ÉtatsUnis, mais qu’une chanson soit dans une scène importante de la série Grey’s

Anatony lui a sans doute donné un coup de pouce.

« Utiliser une chanson en français demande une grande recherche, note Fabienne Larouche. Quand les paroles sont en anglais, c’est moins direct. Alors que de faire chanter Le petit bonheur de Félix Leclerc en rap par une élève noire dans 30 vies envoie une image puissante. Je voulais dire quelque chose, je parlais au Québec. C’était un lien entre le passé et le future. »

L’ASSOCIATIO­N

Sébastien Lépine se décrit comme un facilitate­ur entre le milieu de la musique et celui de la télévision. « Pour chaque demande d’un producteur, j’envoie une descriptio­n très claire de la série, le synopsis de la scène dans laquelle on souhaite utiliser la chanson, l’intention, la justificat­ion du choix. Ensuite, c’est à l’équipe de l’artiste d’approuver l’intégratio­n de sa chanson. » Il fait rarement face à un refus.

« Quand l’album est sorti il y a un certain temps, il n’y a jamais de réticence. Mais tout est une question de gestion. Il arrive qu’un artiste ne veuille pas qu’une nouvelle chanson soit utilisée à la télévision pour que les gens se tannent avant son lancement ou sa tournée. D’autres voient ça comme un élément de promotion. »

Marie-Ève Rochon est responsabl­e de la coordinati­on des licences et éditions chez Bonsound, départemen­t qui a vu le jour il y a un an devant les demandes grandissan­tes. « Il est important pour un artiste de garder le contrôle sur son oeuvre, qu’il soit à l’aise avec le contenu lorsqu’une de ses chansons est demandée. Mais on produit des séries de grande qualité et ces collaborat­ions sont favorablem­ent accueillie­s. Il y a surtout les demandes de publicité qui suscitent une réflexion et où il y a des refus. » Fabienne

Larouche avoue avoir essuyé des refus pour Cheval-Serpent étant donné la toile de fond du club de danseurs nus.

INVESTISSE­MENT

Et combien peut coûter une chanson ? « Plus le territoire est large, plus ça coûte cher, même chose pour la longueur de la licence généraleme­nt à 5 ans en télévision. Certains artistes coûtent très cher, mais il m’est arrivé de libérer des Beatles ou du Jimmy Hendrix qui sont plus durs à obtenir, explique Sébastien Lépine. » Fabienne avoue avoir payé 50 000 $ pour un 30 secondes qui en valait vraiment la peine. « Mais à ce moment-là, il faut couper ailleurs, tranche-t-elle. »

Pour les artistes, l’utilisatio­n d’une chanson devient une belle visibilité. Des séries destinées à un public de jeunes adultes en utilisent beaucoup même si les habitudes de consommati­on d’écoute ont changé. « Ça suscite un intérêt, c’est certain, remarque Marie-Ève Rochon, ça rejoint un public qui risque d’acheter des billets pour voir un show. On a remarqué l’impact de Fugueuse sur Yes McCan notamment. »

Sébastien Lépine affirme que certaines chansons ont connu une augmentati­on de télécharge­ment de 300 % suivant la diffusion d’une émission. Dans un contexte où il ne se vend plus d’albums, c’est une belle façon de faire voyager et découvrir la musique. Parce que le pouvoir d’une chanson avec la justesse d’une scène, c’est un mix parfait !

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District 31 Dead Obies
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L’académie
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Girls
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PHOTO MAXYME G DELISLE
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Trop
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Jérémie
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Ruptures
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PHOTO JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ Safia Nolin

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