Le Journal de Montreal - Weekend
UN CADEAU DU CIEL
Ce livre est un cadeau du ciel. L’anthropologue vagabond et merveilleux communicateur Serge Bouchard nous réconcilie avec la vie, avec nousmêmes et nos rêves de pays à faire en cette terre d’Amérique.
D’ailleurs, il le dit d’entrée de jeu, il veut « donner vie à ce qui dort, enfoui sous l’instant, sous l’actuel. […] Rien n’est plate, à moins de perdre totalement le sens de l’émerveillement ». Et de l’émerveillement, Bouchard nous en met plein la vue, là où l’on s’y attend le moins, dans ces lieux qu’il nomme avec la joie du découvreur, entourés de gens qui ont des bras durs comme la roche, des cuisses comme des troncs d’arbre et du front tout le tour de la tête, pour paraphraser Raoul Duguay dans sa chanson La bittt à Tibi.
On le sait par ses autres écrits, Bouchard est un grand nostalgique. Non pas parce qu’il serait un mésadapté de la modernité, non, mais parce que ses souvenirs témoignent d’un passé enrichissant, qui n’a rien du misérabilisme trop souvent présent dans l’écriture de notre histoire. Il se souvient, entre autres, de cette période révolue où le Canadien de Montréal alignait une belle flopée de joueurs francophones, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il s’insurge avec raison que les magnats du hockey tiennent leurs assises annuelles à Boca Raton, en Floride, alors que « le hockey est un sport d’hiver. […] Trêve de palmiers, ramenez les sapins », ordonne-til. Et il déplore que si Maurice Richard revenait aujourd’hui, il ne serait sûrement pas repéré par ces éminents gestionnaires de la Ligue nationale, car étant « trop petit, trop tuque, trop Maurice, trop Richard ».
Mais tout n’est pas que nostalgie dans ces chroniques d’abord publiées dans la revue Québec Science pendant une dizaine d’années. Quoi de plus actuel que cet oléoduc, ce pipeline qu’on voudrait installer à travers le quartier de son enfance, dans l’est de Montréal, et qui transporterait cette « peste noire » en provenance de l’Alberta, symbole du progrès et de la richesse? De la « marde » propre, ça n’existe pas, conclut l’auteur.
DÉPOSSESSION TRANQUILLE
Fin observateur de l’évolution des moeurs, Bouchard, qui a roulé sa bosse un peu partout à travers le vaste monde, se fait parfois pessimiste lorsqu’il constate que l’humanité se dirige vers un grand trou noir, aspirée et inspirée par l’émergence du rien. Il pointe du doigt, à titre d’exemple, ce grand
nowhere vacancier qu’est devenu le village du Mont-Tremblant, qu’hier les Algonquins appelaient Manitou Ewitchi Saga, c’est-à-dire la « montagne qui tremble lorsque le Manitou est en maudit ». Ou les Boules, dans le Bas-SaintLaurent, au coeur de Métis Beach, ainsi appelé par les riches villégiateurs canadiens anglais et les Américains. Les petites gens, tous Canadiens français, furent leurs « guides sur les rivières des autres, charpentiers et menuisiers pour les manoirs des autres, jardiniers des jardins des aristocrates, gardiens d’une beauté qui leur était étrangère ».
Cette dépossession tranquille a donné naissance à la république du mauvais goût, avec ses cours à ferraille, ses bâtisses jamais finies, ses centres commerciaux et ses concessionnaires automobiles qui bloquent la vue du fleuve. « Serions-nous les adorateurs de la déesse Dollarama ? », se demande un Bouchard lucide qui désespère du bâti et de l’aménagement brouillon, qu’il soit en campagne ou à Montréal, tout en réaffirmant son amour des pays du Québec et des gens qui l’habitent.