Le Journal de Montreal - Weekend

PORTRAIT D’UN ÉCRIVAIN-LECTEUR

Présent jusqu’à dimanche au Salon du livre de Montréal à titre d’invité d’honneur, Dany Laferrière offre ici un avant-goût de son univers littéraire.

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Est-ce que vous pouvez commencer par nous expliquer pourquoi vous trouvez aussi important de parler des livres des autres dans vos propres livres ? Parce que je crois profondéme­nt que la littératur­e est une et que sa grande promesse est de nous signaler qu’on est tous pareils sous toutes les latitudes. Pour ma part, je suis un lecteur ludique, un peu primesauti­er, un peu papillon. J’aime bien passer d’une émotion à l’autre. Je ne juge pas, je rencontre des gens. D’après ce qu’on a pu comprendre en lisant Autoportra­it de Paris avec

chat, votre livre illustré, Jorge Luis Borges serait l’un de vos écrivains préférés ? Les écrivains qui sont très marquants ne doivent pas nécessaire­ment être lus par tout le monde. Mais la passion qu’ils suscitent est très importante. Depuis 40 ans, je parle de Borges et je l’ai fait découvrir à beaucoup de Québécois. Quand on voit cette fidélité, on voit que la littératur­e, ce n’est pas nécessaire­ment la recherche de sensations nouvelles. Et de tous les livres que Borges a écrits, quels sont ceux qui ont été pour vous les plus marquants ? La première chose à faire serait plutôt de lire des interviews de lui sur internet pour essayer de voir sa vie, de comprendre qui il était. Il faut prendre le temps de se renseigner un peu comme ça, car il est intéressan­t d’être l’ami de l’écrivain qu’on aime ou qu’on va découvrir. Et puis les interviews, c’est là que Borges était le plus fort. Plus la personne était bête et posait des questions idiotes, meilleur il était ! Il était si courtois qu’il faisait de gros efforts pour faire paraître la personne intelligen­te ! Sinon, je recommande­rais Le livre de

sable, qui est peut-être son livre le plus facile à lire. Lorsque vous étiez adolescent, vous auriez aimé pouvoir rencontrer Gérard de Nerval. Si ça avait été possible, qu’auriez-vous souhaité lui demander ? Oh ! Pas grand-chose ! Les gens qui nous impression­nent énormément, on est intimidé par leur présence. Alors j’aurais simplement aimé m’asseoir et passer l’après-midi avec lui sans presque rien dire. Récemment, est-ce que certains livres ont réussi à vous emballer ? Je ne sais pas. Je lis beaucoup de livres pour les prix littéraire­s cette année. Mais je pense quand même à Bâtons

à message de Joséphine Bacon, une poète de haute voltige. On voit dans sa poésie les choses nues, et cela vient de quelqu’un qui a longtemps regardé la glace et les espaces vides où on doit chercher la nature pour la trouver. En succédant à Hector Bianciotti au fauteuil numéro 2 de l’Académie française, vous vous êtes fait un devoir de lire tous les romans de cet écrivain d’origine argentine. Lequel avez-vous préféré ? Je dirais Sans la miséricord­e du Christ. En 1985, quand j’ai publié Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, mon premier livre, la Fondation des aveugles m’avait demandé d’en faire la lecture et de lire aussi un passage de

Sans la miséricord­e du Christ, paru la même année. Pour m’entraîner, je l’ai donc lu attentivem­ent une fois, deux fois. Hector Bianciotti utilise beaucoup le subjonctif et il est presque précieux dans son écriture, mais l’histoire est belle. Lorsque vous êtes parti vivre à Paris, une grosse caisse de livres n’a pas tardé à vous suivre. Si vous ne deviez n’en choisir que cinq, quels sont ceux dont vous ne pourriez vous passer ?

Fictions de Borges. C’est le premier livre de Borges que j’ai lu et j’ai été abasourdi. Je ne savais pas qu’on pouvait écrire des nouvelles comme ça.

Guerre et paix de Léon Tolstoï. Pendant quatre mois, je n’ai lu que ce livre et tous les mots de Tolstoï. Je voulais pouvoir le faire dans les meilleures conditions. Une lecture marquante.

Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov. Je l’ai lu à une époque où je distribuai­s des prospectus à Verdun, et ce livre m’a en quelque sorte sauvé la vie : chaque fois que je m’y plongeais, je n’étais plus un distribute­ur de prospectus, mais un lecteur ! Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez. C’est le seul livre que je ne peux pas relire, car chaque fois que je l’ouvre, je sais tout et j’ai l’impression de barboter dans ma vie ! Les liaisons dangereuse­s de Pierre Choderlos de Laclos. Le livre le plus vif et le plus proche de moi, car il se penche sur le désir et la volonté du désir. Et que lisez-vous présenteme­nt ? Oh, j’ai toujours été très pudique avec mes lectures. Là, c’est Maître-Minuit de Makenzy Orcel. Ça vient juste de sortir. L’auteur espère un jour rattraper Faulkner. Il a du travail devant lui, mais il a un talent fou.

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