Le Journal de Montreal - Weekend
ÉTERNELS PAULINE ET GÉRALD
Que c’est beau l’amour ! C’est ce qu’on se dit en lisant cette tragique et pourtant joyeuse correspondance entre la chanteuse et passionaria Pauline Julien et le poète-éditeur-député Gérald Godin. C’est plein de douces folies, d’inquiétudes, de peurs, « la bonne peur que donne un amour qui vient au monde ».
Pauline a l’âme à la tendresse : « À vos côtés, je suis sûre que nous n’aurions qu’à nous regarder pour avoir ce rire heureux ». Ce rire qui peut tirer Gérald de sa gravité, lui qui « rêve d’une mitraillette ». On le sent revendicateur à cause des « rancunes inaltérables » qu’il nourrit. « Il vaut mieux être en désaccord avec l’univers entier qu’avec soi-même. » AMOURS VULNÉRABLES
Déjà, à cet âge des amours vulnérables, Pauline évoque le suicide, mais « pas encore », dit-elle, par respect pour les autres et pour la vie. Elle se sent seule et cherche en Gérald une oasis de fraîcheur. Mais Gérald la met en garde contre les sentiments définitifs et plaide en faveur d’une liberté totale, surtout celle de se « dire ce que nous ne cacherions pas à un ami fidèle ». Quelle lucidité que celle de Gérald lorsqu’il affirme : « L’amour est une présence constante dans l’esprit et le coeur, mais une activité secondaire dans le temps », chacun plaidant pour son autonomie et son champ d’activités, chacun cherchant à se surpasser sur le plan professionnel, ce qui ne coïncide pas toujours avec les relations amoureuses. C’est que Pauline aime Gérald entièrement et Gérald aime Pauline… après neuf mois de se connaître, de s’écrire et de rêver à s’aimer, avec un trop plein de désirs qui les plongent dans « un état jamais encore connu ».
Les lettres nous donnent le goût de voyager, de Percé embrumée à Paris la nuit, dans les deux cas en compagnie de Gaston Miron. Et d’escapades en voilier sur le fleuve en face des Trois-Rivières. Mais surtout de prendre le temps d’écrire pour mieux savoir qui nous sommes, de découvrir nos sensibilités et apprécier le regard de l’autre. REVISITER LE PASSÉ
Ces lettres intelligentes, ardentes, drôles et surtout bien écrites sont aussi l’occasion de revisiter un passé récent. Entre autres, l’année 1962 avec la crise des missiles à Cuba et la menace d’une guerre atomique. « Rien n’est simple, ni vous ni moi ni Cuba », atteste Gérald. Puis Prague en 1968, avec l’arrivée des chars soviétiques, alors que le journaliste Godin se trouve à la frontière de Bratislava. Puis l’accession au pouvoir ministériel pour Gérald avec l’élection d’un gouvernement péquiste. Et le référendum de 1980. Il commente ainsi un article paru dans la revue Le temps fou : « C’est pénible [à propos de la gauche québécoise] ! Impuissance, faiblesse de l’analyse, ignorance de la réalité sociologique du Québec ; ils sont dans les limbes pour un christ de bout de temps. » Il n’aurait jamais su si bien dire et ses paroles prémonitoires résonnent encore aujourd’hui.
Rien n’est simple en amour, comme l’affirmait la chanteuse Barbara : « Mon métier de chanteuse, je l’ai réussi, mais mon métier de femme, je ne l’ai pas réussi. » Ces paroles pourraient-elles s’appliquer à Pauline Julien, qui doute de tout de façon permanente ? Pauline et Gérald vivront un « amour qui dure », quelque chose d’incroyable, selon Gérald, car leurs métiers les ont séparés plus qu’ils ne les ont réunis. Malgré les infidélités de part et d’autre et les jalousies qu’elles suscitent inévitablement.
À la fin, en 1984, la maladie — l’épilepsie — viendra brutalement saper la vie de Gérald « le trépané ». Celui-ci en aimera plus la vie et sa Pauline, « petit oiseau tout en duvet ».
On quitte à regret cette correspondance avec le sentiment d’avoir vécu dans l’intimité de Pauline et de Gérald. Et on ressent comme un grand vide. Ces deux êtres chers me manquent terriblement.