Le Journal de Montreal - Weekend
Un couple séparé par une erreur judiciaire
À cause d’une erreur judiciaire, un couple de trentenaires afro-américains sera séparé à jamais. Une histoire bouleversante qui s’inscrit déjà dans notre palmarès des meilleurs romans de l’année.
L’an dernier, Un mariage américain a été loué par Barack Obama, a fait partie des gros coups de coeur de l’animatrice Oprah Winfrey, a été sélectionné pour le National Book Award et a remporté le Women’s Prize for Fiction. Bref, un roman qui n’est pas passé inaperçu et qu’on a maintenant la chance de pouvoir lire en français.
« En fait, c’est mon quatrième roman, explique Tayari Jones, qu’on a pu joindre chez elle à Atlanta, en Géorgie. Les trois premiers s’inspiraient davantage de ma propre vie, mais avec celui-ci j’explore le monde ! Et bizarrement, l’idée de ce livre m’est venue dans la rue, pendant que je marchais. Il y avait non loin de moi un couple qui se disputait et à un moment, j’ai clairement pu entendre : “Tu sais que tu ne m’attendrais pas pendant sept ans, toi.” J’ai trouvé cette phrase curieuse et au final, c’est elle qui m’a amenée à imaginer toute l’histoire d’Un mariage américain.
« Il faut savoir qu’aux États-Unis, un citoyen sur deux connaît quelqu’un qui a été en prison, même s’il n’y a passé qu’une seule nuit. Ça fait partie de la culture et pour moi, il était important que ce livre apporte un certain réconfort aux personnes qui traversent le même genre de situation. Quand c’est imprimé, ça a quelque chose de rassurant ! »
Un « même genre de situation » qui fait directement référence au cauchemar de Roy Hamilton et de Celestial Davenport, un couple de jeunes mariés qui n’aura malheureusement pas la chance de vivre heureux jusqu’à la fin des temps, et encore moins d’avoir beaucoup d’enfants.
VICTIME D’UNE ERREUR JUDICIAIRE
Alors qu’il était de passage à Eloe, le bled de Louisiane où ses parents vivent encore, Roy sera accusé d’avoir agressé et violé une Blanche. À tort, puisqu’au moment des faits, il était bien sagement (enfin presque !) au lit avec sa femme. La suite est carrément révoltante : alors qu’il n’a absolument rien fait, Roy sera condamné à 12 ans ferme d’enfermement dans un centre de détention de Louisiane.
Une vie, quoi ! Car à sa sortie, il aura 43 ans, et Celestial presque autant.
Maintenant, mettez-vous un instant dans sa peau. Un jour vous avez boulot, maison, épouse et plein de rêves d’avenir ; puis le lendemain, plus rien. Que des barreaux partout. « Je voulais montrer que ce genre de chose pouvait arriver aux gens ordinaires, précise Tayari Jones. Pas seulement aux gens qui appartiennent à une minorité. Pour moi, la principale difficulté a ensuite été de ne pas faire de Roy le seul personnage sympathique du livre, parce que ses problèmes sont si nombreux que son bonheur, on le veut ! » Celestial aussi le veut. Sauf qu’avoir un mari en prison peut être nettement plus difficile qu’on le pense. « Lorsqu’on est incarcéré, poursuit Tayari Jones, on a beaucoup de temps pour réfléchir, beaucoup de temps pour décortiquer et analyser chaque mot ou chaque petit froncement de sourcils. Le moindre détail peut ainsi prendre des proportions démesurées. » Ce qu’on pourra assez vite constater par nousmême en suivant la correspondance que Roy et Celestial entretiendront au fil des ans… et dans laquelle on verra surtout leur couple se déliter peu à peu.
RESTE L’APRÈS
Quand Roy sortira enfin de prison avec 23 $ en poche (la somme que l’État remet à chaque détenu relâché), il aura donc vraiment l’impression qu’on lui a tout pris. Même sa femme, qui a fini par trouver refuge dans les bras de son plus vieil ami d’enfance. Celui-là même qui lui avait jadis présenté Celestial.
« Quand j’écris, je cherche toujours des réponses, ajoute Tayari Jones. À quoi peut ressembler la vie après la prison ? Comment Roy parviendra-t-il à aller de l’avant ? Est-ce qu’il y a moyen que Celestial puisse le soutenir sans continuer à jouer les épouses dévouées ? Quel genre de problèmes les proches de Roy vont-ils par la suite rencontrer ? Quand j’ai commencé à écrire cette histoire, je ne savais donc pas du tout comment elle allait se terminer. »
Mais nous, on peut le dire : de façon surprenante ! Et ce qu’on peut dire aussi, c’est qu’on a beaucoup aimé ce roman. Pour la façon dont il est écrit, et pour le regard qu’il porte sur ce couple qui raconte si bien l’Amérique de Trump.