Le Journal de Montreal - Weekend
UN ANTIDOTE À LA MOROSITÉ
Sans vraiment se connaître l’une l’autre, Rafaële Germain et Dominique Fortier ont uni leur plume, leur poésie et leur imaginaire pour écrire un projet commun, Pour mémoire. Pendant six mois, elles ont échangé des messages pour parler de la vie quotidienne et, en quelque sorte, l’immortaliser. Un antidote à la morosité ambiante.
Les écrivaines ont réalisé ce projet en 2017, alors qu’elles se connaissaient à peine. Elles sont devenues grandes amies par la suite. « On ne savait pas si ça allait être publié ni publiable. On a écrit tous les jours. On a été bonnes élèves », commente Rafaële Germain, qui écrit la série télévisée En tous cas.
Ces femmes de lettres, qui sont aussi mamans d’enfants du même âge, parlent de leur quotidien, de leur vie de famille, de souvenirs beaux ou moins beaux, des petits moments de grâce.
« Chaque jour, on écrivait quelque chose. L’éventail d’émotions et de sujets se déployait lentement. On ne pouvait pas forcer le rythme : il fallait juste qu’on soit là et qu’on s’ouvre au moment, quand il passait. Il y a du slow food et de la slow TV… c’était du slow writing. C’était vraiment l’fun. »
« À CONTRE-COURANT »
Leur idée était de correspondre et partager les petites perles de tous les jours. « Ce sont des moments qui méritent qu’on s’y arrête. On ne prend plus le temps de s’arrêter, dans la vie. On trouvait qu’il y avait quelque chose de l’fun à faire, qui s’inscrivait un peu à contre-courant. »
« Les deux, on n’est pas vraiment des jovialistes de nature. Souvent la vie, c’est difficile, et il faut voir ces moments fragiles, éphémères. Dominique compare cela à un herbier, quand on garde les plantes de l’été entre les pages d’un livre pour pouvoir les retrouver. »
Cette démarche a provoqué un changement. « On s’émerveillait quotidiennement d’une beauté, tout en étant conscientes qu’elle n’était que de passage. C’est un peu ça, l’essence de l’existence : c’est merveilleux… mais ça ne dure pas. »
Dominique Fortier précise qu’écrire est presque toujours un acte solitaire. « On travaille de longs mois dans sa tête et sur le papier, sans écho, sans réponse. Travailler à un projet comme Pour mémoire, c’était d’abord écrire à quelqu’un – une personne pour qui j’éprouvais tout à la fois de l’admiration, de la curiosité, du respect et de la confiance », écrit-elle en entrevue par courriel.
« C’était aussi savoir que les observations et les réflexions de Rafaële viendraient, tous les quelques jours, nourrir les miennes, leur donner des reflets et des reliefs qu’elles n’auraient pas eus autrement. Bref, c’était de construire, au fil des jours et des semaines, une véritable conversation. »
« RALENTIR LE PAS »
Ce projet lui a permis de confirmer une chose qu’elle pressentait : il y a peu de choses dans la vie qui lui apportent une joie véritable.
« J’ai besoin de passer du temps à la mer, de regarder tous les jours une même chose qui est chaque fois différente. Ma fille, sa curiosité, sa capacité d’émerveillement sont une sorte de rappel, une incitation à ralentir le pas, à regarder ce qu’il y a autour de nous. Enfin, souvent, il y avait aussi les livres, qui viennent ouvrir une autre dimension dans le réel. »
⬛ Les broderies d’Éliane Ste-Marie (Atelier de l’Épinoche) ornementent le livre.
⬛ Dominique Fortier est écrivaine et traductrice. On lui doit Au péril de la mer, lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général en 2016. Elle prépare une nouvelle traduction de Lullabies for Little Criminals de Heather O’Neill.
⬛ Rafaële Germain a écrit plusieurs livres, dont l’essai Un présent infini. Elle prépare une possible quatrième saison de la série télévisée En tous cas, diffusée à TVA.