Le Journal de Montreal - Weekend

Don Winslow signe la fin de la trilogie Cartel

C’est notre cadeau de fin d’année : une entrevue exclusive avec l’écrivain américain Don Winslow, qui vient de signer le troisième et dernier volet de la géniale série Cartel.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Entamée avec La griffe du chien (un petit chef-d’oeuvre, à lire sans faute !), la trilogie Cartel est à l’univers de la drogue ce que les dictionnai­res sont à la langue : il n’y a qu’à la lire pour tout savoir sur le narcotrafi­c au Mexique, les règlements de compte entre cartels ou la lutte antidrogue menée par les instances américaine­s. Un tour de force magistral, qui a réclamé à Don Winslow plus de 20 ans de travail.

« Au début des années 1990, le monde des narcotrafi­quants ne m’intéressai­t pas du tout et j’en connaissai­s vraiment très peu sur le sujet, explique l’auteur, qu’on a pu joindre dans le Rhode Island. Mais un jour, j’ai lu dans le journal que 19 innocents avaient été massacrés à la frontière, non loin de l’endroit où je vivais. » Ici, on se permet une petite parenthèse : lorsqu’il n’est pas dans le Rhode Island, Don Winslow vit à San Diego, qui ne se trouve qu’à un jet de pierre de Tijuana. « Ce n’est peut-être pas beaucoup de corps, mais à cette époque-là, c’était un chiffre assez choquant, poursuit-il. Je n’arrivais pas à comprendre l’origine de ces morts, et pour y remédier, j’ai commencé à faire des recherches. La seule chose que je peux ajouter c’est que tout d’un coup, je me suis retrouvé à rédiger de deux à six pages par jour ! »

BLANCHE BATAILLE

Même si on l’a souvent lu ou entendu, Don Winslow ne s’est pas inspiré du mafieux mexicain Joaquin « El Chapo » Guzman pour donner naissance à Adán Barrera, l’un des seigneurs de la drogue que son héros, l’agent de la DEA Art Keller, traquera sans relâche.

« Le vrai El Chapo n’était encore qu’un joueur mineur quand j’ai commencé à travailler sur cette trilogie et pour

La griffe du chien, je me suis inspiré d’un autre groupe de Tijuana, souligne l’auteur. Ce premier opus a d’ailleurs été plutôt dur à faire parce que je n’avais pas de background et pas de contacts. Ça a donc été un peu plus facile avec La

frontière même si, pour y ajouter des détails réalistes, il a encore fallu que je fasse des recherches. Cette fois sur les héroïnoman­es. J’en ai interviewé

plusieurs, et plusieurs ont été emportés par une overdose pendant que j’écrivais. En 2018, aux États-Unis, l’héroïne a fait plus de morts que les accidents de la route, et depuis que ce livre a été publié, il y a toujours quelqu’un pour venir me dire qu’un de ses proches ou un de ses amis a perdu la vie à cause de la drogue. »

Voilà pourquoi, dans le troisième et dernier opus, Art Keller acceptera de diriger la DEA. Pour lui, fini le travail de terrain. Mais le mandat qui l’attend n’en sera pas moins laborieux : endiguer l’épidémie d’héroïne (et d’overdoses !) qui frappe les États-Unis. Car peu importe les mesures prises, la drogue continue d’arriver du Mexique par tombereaux entiers.

ENFIN L’ESPRIT TRANQUILLE

Qu’on ait lu ou non La griffe du chien et Cartel, il est pratiqueme­nt impossible de ne pas être accro à La frontière ,et ce, assez rapidement. Oui, c’est vrai, il y a beaucoup de violence et parfois, ça gicle de partout ! « L’un des problèmes d’écrire sur ce genre de milieu, c’est que c’est parfois tellement fou que même moi, je n’arrive pas y croire, ajoute Don Winslow. D’un côté, il y a les narcotrafi­quants qui ont tant d’argent qu’ils ne peuvent même plus le compter et de l’autre, il y a les démunis qui sont tentés par le commerce de la drogue parce qu’ils se disent : “Mieux vaut vivre 5 ans comme un roi que 40 ans dans la pauvreté.” Mon principal objectif est donc d’écrire de bonnes histoires qui permettent aux gens de découvrir des choses et de les amener là où ils n’ont pas accès. »

Un objectif qui, peu après la parution de Cartel, l’a, quant à lui, amené à recevoir des menaces de mort. « Moi, de l’autre côté de la frontière, j’étais relativeme­nt en sécurité, précise-t-il. Les vrais héros, ce sont les 200 journalist­es mexicains qui ont été tués en voulant raconter ce qui se passait vraiment. »

Il n’empêche que depuis qu’il a enfin terminé cette trilogie, Don Winslow a cessé de prendre certaines précaution­s. Comme toujours surveiller ses arrières ou être attentif aux anomalies… « Maintenant, je peux en quelque sorte me détendre ! » conclut-il.

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LA FRONTIÈRE Don Winslow aux Éditions Harper Collins 848 pages. DON WINSLOW – LA FRONTIÈRE
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