Le Journal de Montreal - Weekend
L’URGENCE DE RACONTER
Lea Tsemel est considérée soit une traîtresse, soit une grande dame. Car cette avocate israélienne bien connue dans son pays défend des Palestiniens accusés de terrorisme, de tentative d’attentat suicide, de possession d’arme ou de lancer de pierres. À l’
« Avec Rachel Leah Jones [la coréalisatrice, NLDR], nous avions discuté depuis des années de l’éventualité de faire un documentaire sur Lea Tsemel. Nous pensions, l’un comme l’autre, qu’elle avait un parcours de vie exceptionnel et, en plus, elle avait l’air à l’opposé des idées préconçues qu’on peut avoir sur un avocat en droits de l’homme. Elle n’était absolument pas austère, pas imbue d’elle-même. […] Quand je l’avais rencontrée, il y a plus de 15 ans, je m’étais dit qu’elle était un personnage de film formidable ! Surtout, elle avait cette curiosité de l’autre ! », explique le réalisateur lors d’une entrevue téléphonique.
CONVICTIONS
Lea Tsemel, avocate comporte deux fils narratifs distincts. D’un côté, les procès d’Ahmad, un adolescent palestinien de 13 ans impliqué, avec son cousin, dans une agression à l’arme blanche, ainsi que celui d’Israa, qui a blessé un policier avant de se brûler grièvement en mettant le feu à sa voiture. De l’autre, la vie de Lea Tsemel, les origines de son engagement, incluant des documents d’archives et quantité d’entrevues, notamment avec ses enfants.
« Quand, il y a un peu plus de cinq ans, on a appris qu’elle allait fêter ses 70 ans, j’ai senti une urgence à faire un film sur elle parce que je me suis dit qu’elle allait arrêter de travailler. Tout le monde sait ce qu’elle fait, mais personne n’a montré comment elle le fait. C’est un travail difficile parce qu’elle défend aussi parfois des victimes qui sont les auteurs d’actes criminels. »
« Par ailleurs, ça fait presque 20 ans que le processus de paix avec le peuple palestinien est au point mort, et depuis cinq ans, le gouvernement israélien est plus à droite que jamais. De faire un film sur cette femme qui pense différemment, dont le parcours représente quelque chose qui existe tout au long de l’histoire d’Israël et des Palestiniens, c’est-à-dire une solidarité, nous paraissait important, justement maintenant », indique Philippe Bellaïche.
Les séquences avec les deux accusés sont rendues au moyen d’une technique d’animation, une décision prise pour Ahmad, en raison de son âge, la loi israélienne interdisant de montrer le visage d’un mineur accusé. « Pour Israa, on a eu une hésitation plus morale que légale. Au moment où on a tourné, elle ne voulait pas que les journalistes la prennent en photo. Elle a un enfant qui avait huit ans et elle ne voulait absolument pas que son fils ouvre par hasard le journal et la voie défigurée. »
« OPTIMISTE EN COLÈRE »
Lea Tsemel, qui aime se définir comme une « optimiste en colère », obtient parfois de petites victoires, comme de légères réductions de peine. Et surtout, elle ne baisse pas les bras.
« Lea est une humaniste, en fait, de dire Philippe Bellaïche. On la décrit souvent comme une radicale, mais elle est plus une réformatrice qu’une radicale. Elle ne veut pas tout casser. Elle travaille dans un système. Elle sait que le système est plus qu’imparfait, mais elle sait que les gens qui constituent le système sont des êtres humains. Et c’est là-dessus qu’elle base son espoir. Et elle se dit que si elle trouve les mots, elle pourra leur faire voir les choses différemment. »