Le Journal de Montreal - Weekend

L’URGENCE DE RACONTER

Lea Tsemel est considérée soit une traîtresse, soit une grande dame. Car cette avocate israélienn­e bien connue dans son pays défend des Palestinie­ns accusés de terrorisme, de tentative d’attentat suicide, de possession d’arme ou de lancer de pierres. À l’

- ISABELLE HONTEBEYRI­E Lea Tsemel, avocate a pris l’affiche vendredi.

« Avec Rachel Leah Jones [la coréalisat­rice, NLDR], nous avions discuté depuis des années de l’éventualit­é de faire un documentai­re sur Lea Tsemel. Nous pensions, l’un comme l’autre, qu’elle avait un parcours de vie exceptionn­el et, en plus, elle avait l’air à l’opposé des idées préconçues qu’on peut avoir sur un avocat en droits de l’homme. Elle n’était absolument pas austère, pas imbue d’elle-même. […] Quand je l’avais rencontrée, il y a plus de 15 ans, je m’étais dit qu’elle était un personnage de film formidable ! Surtout, elle avait cette curiosité de l’autre ! », explique le réalisateu­r lors d’une entrevue téléphoniq­ue.

CONVICTION­S

Lea Tsemel, avocate comporte deux fils narratifs distincts. D’un côté, les procès d’Ahmad, un adolescent palestinie­n de 13 ans impliqué, avec son cousin, dans une agression à l’arme blanche, ainsi que celui d’Israa, qui a blessé un policier avant de se brûler grièvement en mettant le feu à sa voiture. De l’autre, la vie de Lea Tsemel, les origines de son engagement, incluant des documents d’archives et quantité d’entrevues, notamment avec ses enfants.

« Quand, il y a un peu plus de cinq ans, on a appris qu’elle allait fêter ses 70 ans, j’ai senti une urgence à faire un film sur elle parce que je me suis dit qu’elle allait arrêter de travailler. Tout le monde sait ce qu’elle fait, mais personne n’a montré comment elle le fait. C’est un travail difficile parce qu’elle défend aussi parfois des victimes qui sont les auteurs d’actes criminels. »

« Par ailleurs, ça fait presque 20 ans que le processus de paix avec le peuple palestinie­n est au point mort, et depuis cinq ans, le gouverneme­nt israélien est plus à droite que jamais. De faire un film sur cette femme qui pense différemme­nt, dont le parcours représente quelque chose qui existe tout au long de l’histoire d’Israël et des Palestinie­ns, c’est-à-dire une solidarité, nous paraissait important, justement maintenant », indique Philippe Bellaïche.

Les séquences avec les deux accusés sont rendues au moyen d’une technique d’animation, une décision prise pour Ahmad, en raison de son âge, la loi israélienn­e interdisan­t de montrer le visage d’un mineur accusé. « Pour Israa, on a eu une hésitation plus morale que légale. Au moment où on a tourné, elle ne voulait pas que les journalist­es la prennent en photo. Elle a un enfant qui avait huit ans et elle ne voulait absolument pas que son fils ouvre par hasard le journal et la voie défigurée. »

« OPTIMISTE EN COLÈRE »

Lea Tsemel, qui aime se définir comme une « optimiste en colère », obtient parfois de petites victoires, comme de légères réductions de peine. Et surtout, elle ne baisse pas les bras.

« Lea est une humaniste, en fait, de dire Philippe Bellaïche. On la décrit souvent comme une radicale, mais elle est plus une réformatri­ce qu’une radicale. Elle ne veut pas tout casser. Elle travaille dans un système. Elle sait que le système est plus qu’imparfait, mais elle sait que les gens qui constituen­t le système sont des êtres humains. Et c’est là-dessus qu’elle base son espoir. Et elle se dit que si elle trouve les mots, elle pourra leur faire voir les choses différemme­nt. »

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PHOTO COURTOISIE Le documentai­re retrace le parcours de l’avocate israélienn­e Lea Tsemel.

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