Le Journal de Montreal - Weekend
UN GESTE FONDATEUR
Le 24 juin 1969, un an après le tristement célèbre « Lundi de la matraque », le char allégorique transportant la statue de Saint-Jean-Baptiste était renversé lors de ce qui serait, pendant des années, le dernier défilé traditionnel de la Saint-Jean.
J’étais parmi le petit groupe de militants du FLP, dirigé par Andrée Ferretti, qui décapita ainsi le saint patron des Canadiens français, un être docile et soumis qui se laissait tondre la laine sur le dos sans rouspéter. Nous voulions ainsi marquer, en pleine Révolution tranquille, qu’il en était fini de la soumission tranquille, nous voulions d’autres symboles pour nous représenter. Nous étions désormais des Québécois, affranchis de la tutelle de notre passé catholique. Nous n’étions plus nés pour un petit pain.
L’événement s’était produit, si je me souviens bien, dans la partie ouest de la rue Sherbrooke, c’està-dire en territoire anglais, lieu hautement symbolique. En tombant dans la rue, la statue se brisa ; la tête se sépara de son corps, rappelant bien involontairement comment Jean le Baptiste était mort, selon l’évangile.
COUP DE GRÂCE
Geneviève Zubrzycki, professeur de sociologie à l’Université du Michigan, voit dans ce coup de grâce asséné au saint patron, « comme le dernier acte de la constitution d’une nouvelle identité nationale, québécoise et séculière ». Son ouvrage s’inscrit dans la prolongation du débat autour de l’abandon de notre identité canadienne-française et continentale et de notre transition vers une identité territoriale et langagière, le Québec français, initié avec l’ouvrage d’un autre professeur de sociologie, Jacques Beauchemin, et son ouvrage Une démission tranquille.
Pour comprendre le débat actuel autour de la question de la laïcité au Québec, dit-elle, il faut savoir d’où nous venons, il faut « prendre en compte la sécularisation de l’identité nationale survenue pendant la Révolution tranquille ». Elle rappelle comment la religion catholique a joué un rôle primordial dans l’identité nationale des Canadiens français, alors que nous étions au milieu d’une mer de protestants anglophones. À partir de la cession de la Nouvelle-France à l’Angleterre, en 1763, l’Église en est venue à assumer « des fonctions normalement dévolues à l’État, dont l’éducation, les soins de santé et les services sociaux ».
POINT DE NON-RETOUR
La mort de Duplessis et la victoire de « l’équipe du tonnerre » de Jean Lesage marquent un point de non-retour vers la modernisation et la sécularisation du Québec. Les vieilles structures craquent de partout. « Le nouveau discours des Canadiens français du Québec emprunte le vocabulaire du mouvement des droits civils, du marxisme et du mouvement de décolonisation », dit-elle, rappelant la publication de la «biographie précoce» de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, la création du RIN, « premier groupe politique indépendantiste québécois », le poème Speak White de Michèle Lalonde, Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay et la naissance d’un mouvement féministe revendicateur, avec son mot d’ordre : « Pas de libération des femmes sans Québec libre, pas de Québec libre sans libération des femmes ».
Il faudra attendre 1981 pour retrouver un défilé nouveau genre du 24 juin, désormais Fête nationale des Québécois. En effet, en 1977, moins d’un an après son élection, René Lévesque « sécularise le 24 juin en lui conférant le statut juridique de fête nationale. […] Cette date peut dès lors être considérée comme la fête de tous les Québécois, sans égard à leur appartenance religieuse et à leur origine ethnique ». Que de chemin parcouru en une si brève période, alors que sept ans auparavant, cette fête était réservée aux catholiques canadiens-français d’Amérique ! Preuve que cette fête a perdu son caractère religieux, c’est René Lévesque qui procédera au rituel d’allumage du feu, alors qu’auparavant c’était à l’archevêque qu’incombait cette tâche.