Le Journal de Montreal - Weekend
La puissance de l’instinct de survie
Avec une plume riche, vivante, puissante, l’écrivain montréalais Rawi Hage raconte avec fièvre les effets de la guerre au Moyen-Orient et la puissance de l’instinct de survie dans son nouveau roman,
La Société du feu de l’enfer .Ce roman tragi-comique montre la folie de la guerre, la folie des hommes, l’absurdité de leurs gestes et la volonté de sortir d’un carcan social.
En 1978, la guerre civile bat son plein au Liban. Beyrouth, ville de naissance de l’écrivain, est ravagée et les cortèges funéraires font partie de la vie quotidienne.
Pavlov, le fils d’un entrepreneur de pompes funèbres, reçoit la visite d’un homme excentrique à la mort de son père. Cet individu étrange est membre d’un groupe secret, la Société du feu de l’enfer.
Ce groupe, auquel son père appartenait, s’occupe d’inhumer les gens abandonnés par leur famille, par le clergé ou par l’État, à cause de leurs convictions religieuses ou de leur orientation sexuelle.
Pavlov accepte de reprendre cette tâche. Il observe les processions funéraires, du haut de son balcon, et raconte comment une communauté traverse une période de conflit où la mort guette tout le monde, tout le temps.
Rawi Hage explique, en entrevue, avoir mis cinq ans pour l’écriture de ce roman fascinant. Côtoyer la mort donne-t-il envie de vivre plus intensément ?
« Je crois qu’il y a un lien entre la mort et l’absurdité parce qu’à un moment donné, je crois, la violence et les guerres, ça devient absurde. Ça devient une sorte de chaos où on ne peut rien comprendre. »
LA MORT, LE DEUIL
Rawi Hage raconte que son roman est né d’un deuil, après la mort d’un de ses amis.
« À un moment donné, à un certain âge, on commence à perdre beaucoup de gens de la famille, d’amis. C’est une étape dans la vie où on commence à considérer la mort », dit-il.
Ces guerres qui n’en finissent pas, au Liban et dans la région, ces morts excessives l’ont aussi incité à écrire sur le sujet.
La mort devient-elle plus banale dans un pays en guerre ? « Je crois que ce n’est pas banal, mais qu’on devient moins peureux. On a certaines réactions de déni. On devient plus courageux, peut-être. Ça devient beaucoup plus loin, même s’il s’agit de notre voisin. Il y a une sorte de défense psychologique : on croit que ça ne va pas nous arriver à nous. C’est une façon de s’adapter à ce qui se passe. »
MESSAGE POLITIQUE
La Société du feu de l’enfer est complètement imaginée, assure-t-il, bien qu’elle dissimule un message politique.
« C’est une déclaration ou une dénonciation d’un système qui est une fusion de théocratie et d’un système féodal corrompu. C’est un dialogue avec la religion : dans les pays arabes, la religion est toujours présente et je crois que la religion essaie d’imposer certaines choses sur le corps. C’est une oppression corporelle et je voulais avoir une alternative, alors j’ai créé cette société où tout est permis, même la transgression. »
√ Rawi Hage est né à Beyrouth,
au Liban.
√ Il a survécu à neuf ans de
guerre civile.
√ Il a immigré au Canada en 1992
et habite à Montréal.
√ Ses romans ont été récompensés de nombreux prix et Guy Édoin a signé l’adaptation cinématographique de son deuxième livre,
Le cafard.