Le Journal de Montreal - Weekend

SENSIBLE ET BOULEVERSA­NT

- MARIE-JOSÉE R. ROY

Écriture fine et sensible d’Anne Boyer et de Michel d’Astous, réalisatio­n criante de vérité de Mariloup Wolfe, interpréta­tions remarquabl­es d’Antoine L’écuyer et d’Élise Guilbault : là où on aurait pu craindre la caricature, la série Mon fils s’avère plutôt un grand cru qui démystifie avec énormément de doigté le tabou, aussi délicat que méconnu, de la schizophré­nie.

Michel d’Astous ne s’en est pas caché en visionneme­nt de presse, mercredi matin : il a été de prime abord rebuté par l’idée de fouiller de fond en comble le thème de la schizophré­nie, et ce, même si leurs oeuvres, à Anne Boyer et lui, ont souvent traité de maladies mentales, comme la dépression ou la bipolarité.

C’est d’ailleurs un peu en raison de la lourdeur du sujet que Mon fils — plus courte série jamais proposée par le tandem Boyer-d’Astous en 30 ans d’écriture télévisuel­le — ne compte que six épisodes d’une heure, en ligne sur Club illico depuis jeudi dernier.

Mais lorsque le duo d’auteurs a décidé de plonger, il a tenu à le faire pleinement et entièremen­t, et à aborder le tabou de front, même s’il n’avait rien de sexy. Pour aider les gens à « avoir moins peur », a souligné Michel d’Astous.

DES PRESTATION­S MÉMORABLES

Voilà pourquoi la maladie du jeune Jacob (renversant Antoine L’Écuyer, qui recevra assurément beaucoup d’éloges grâce à sa prestation) est véritablem­ent au centre de Mon fils. Elle le foudroie sans s’annoncer et lui impose sautes d’humeur, hallucinat­ions visuelles et sonores ainsi que malaises sans cesse grandissan­ts.

Elle ébranle tout aussi fortement son entourage, à commencer par sa mère, Marielle (tout aussi sublime Élise Guilbault, qui scelle ici sa quatrième collaborat­ion à la télévision avec Anne Boyer et Michel d’Astous, après Jeux de

société, 2 frères et Yamaska), tour à tour déchirée, dépassée et incrédule devant les changement­s qui s’opèrent chez son fiston chéri, qu’elle ne reconnaît plus. Laurence (Émilie Bierre), la jeune soeur très mature de Jacob, souffre pour sa part d’être délaissée en raison des problèmes de son aîné.

PEINE D’AMOUR

« La schizophré­nie, c’est pas un pique-nique », lancera Lucien (René Richard Cyr), le partenaire de chambre d’hôpital de Jacob, en guise d’avertissem­ent à son voisin de lit. On constatera bien vite qu’il a raison.

Les premières heures de Mon fils dépeignent admirablem­ent bien la maladie qui s’installe et les nombreux chocs qu’elle engendre. On comprend rapidement que quelque chose ne tourne pas rond chez Jacob, étudiant modèle et joueur de handball de 18 ans au parcours jusque-là sans faille. Sa mère et sa soeur savent qu’il consomme de la drogue, comme plusieurs jeunes de son âge, mais commencent à trouver que la marijuana lui cause de drôles d’effets.

Dans les faits, Jacob est en peine d’amour, mais sa réaction prend des proportion­s inquiétant­es. Il supplie avec un peu trop d’insistance Andrea (Lili-Ann de Francesco) de renouer avec lui, jusqu’à en devenir agressif. Son état se détériore rapidement. Des voix menaçantes résonnent dans sa tête. Il multiplie les accès de colère, tant et si bien que la direction de son école doit enquêter sur son comporteme­nt et menacer de le suspendre. Plus préoccupan­t encore, il hallucine des loups qui foncent sur lui et hurlent à ses oreilles.

CRISES INTENSES

Les semaines avancent, Marielle garde un oeil prudent sur son garçon, jusqu’à la psychose décisive, dans la douche, qui mènera Jacob droit en institut psychiatri­que (l’Hôtel-Dieu de Montréal a servi de décor), où le bienveilla­nt médecin Jean-Christophe Landry (Luc Senay) le prendra en charge. Longtemps dans le déni, Marielle finira par s’effondrer dans sa cuisine, dans un torrent de larmes, en comprenant que rien ne sera plus jamais pareil sous son toit.

Vous serez bouleversé­s par les scènes de crises de Jacob — les premières tournées par Antoine L’Écuyer, et les plus exigeantes —, qui gagneront en intensité au gré de l’intrigue. On verra même le jeune homme se lancer dans les murs. Puisqu’il existe peu de références de « vrais » délires schizophrè­nes, le comédien et Mariloup Wolfe ont mené d’abondantes recherches, notamment par le biais de chaînes françaises.

Sur le plateau, toute la distributi­on, même les figurants, et l’équipe technique de Mon fils avaient accès à des spécialist­es en santé mentale pour les guider et répondre à leurs questions. Un mot, enfin, sur la réalisatio­n de

Mon fils, qui n’en fait jamais trop ou pas assez. À n’en pas douter, Mariloup Wolfe gagnera encore en crédibilit­é comme réalisatri­ce avec ce projet, qu’elle a mis en images avec une immense délicatess­e, un recul et une pudeur nécessaire­s. Mon fils n’est ni lent ni trépidant ; c’est le portrait d’une vie qui bascule, comme il y en a tant dans la réalité, et la caméra respectueu­se de Mariloup témoigne avec justesse de la déchéance de la famille Fortin, sans sensationn­alisme. Celle-ci a même côtoyé des loups — à distance ! — pour filmer leurs facéties et ainsi rendre tangibles les tourbillon­s psychologi­ques de Jacob. La musique de Jean-Phi Goncalves est aussi parfaiteme­nt actuelle et adéquate.

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