Le Journal de Montreal - Weekend
RETOUR AUX SOURCES
N’est-ce pas le rêve de tout urbain qui se respecte de pouvoir lâcher prise pendant un certain temps, à la campagne, au beau milieu de la nature, une nature presque vierge s’il s’en trouve encore près de chez nous, c’est-à-dire non spoliée par l’action humaine ? Pour se donner le temps et l’espace nécessaires pour repenser le monde.
C’est un peu ce que nous invite à faire Thierry Pardo, inlassable explorateur de nos lieux forestiers, en prenant comme modèle le philosophe naturaliste Henry David Thoreau.
Avec sa petite famille – une conjointe et deux enfants –, il s’installe dans une cabane en bois, un chalet « sans boutons », en pleine forêt estrienne, à Weedon plus précisément, dans la « réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic ». Pardo ne le fait pas pour nous faire la leçon, pour nous dire que nous sommes foutus si nous continuons au même rythme. Non, il n’y a, dans sa démarche, aucun caractère moralisateur, aucun prêchi-prêcha de boyscout, aucun éloge de la chose sauvage, mais une nette volonté d’inventer un nouvel art de vivre sous le vaste cosmos.
Si, en se retirant à Walden, Thoreau mettait au défi l’épopée industrielle, dit-il, il y a dans son échappée belle à Weedon, un siècle et demi plus tard, un tout aussi grand défi, celui de se « déconnecter », de renoncer à la vie numérique d’aujourd’hui. Mais pourquoi, diable, renoncer à Satan et à ses pompes, comme on disait à l’époque de la première communion, pour se faire volontairement une vie dure et rude, à l’huile de coude, sans machine, faite « de bois, de pierre, d’eau, de vent et d’effort physique » ? Pour débusquer, répond-il,
« la substantifique moelle de la vie », à contre-courant d’une époque marquée par les claviers et les écrans.
Il y a dans cette quête d’un réel accessible un élan poétique que Pardo nous offre en cadeau, avec ses mots qui sentent le vert, le bois brut et la terre humide. Comme le rappelle Thoreau, « aussi naturellement que le chêne produit des glands et la vigne des grappes de raisin, l’homme produit un poème, qu’il soit dit ou fait ».
Intéressante cette distinction entre la simplicité volontaire et son rêve de vivre ainsi au rythme de la nature. Sa simplicité n’est ni volontaire ni involontaire, affirme-t-il, « ce n’est pas une démarche, une posture, un choix de vie ». Alors, de quoi s’agit-il ? Il suffirait de prendre ce qui est autour de nous, une sorte de carpe diem dans la nature, « un art d’accepter le réel, de savourer le présent sans que cela tourne à la résignation ». Ainsi, l’auteur a connu des riches qui sont bien plus simples que certains pauvres. Et de citer Baudelaire : « Il faut être toujours ivre, […] il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise… » Du coup, Pardo nous invite à partager ce bonheur, cette ivresse sans en chercher des dividendes, tout en faisant un certain éloge de la paresse et de la lenteur, « une poétique de l’instant ».
UN APPRENTISSAGE
Vivre dans la forêt implique un savoir-faire et un apprentissage de techniques propres à ce mode de vie. Plutôt que d’être à la remorque des machines-outils qui imposent leur cadence, il faut affirmer son indépendance et sa liberté, dit l’auteur, ce que l’informatique et les normes industrielles nous ont désappris. Ce savoir-faire, c’est aussi bien la récupération de l’eau de pluie que la pratique des énergies photovoltaïques ou la découverte des plantes sauvages médicinales.
Sommes-nous prêts à nous défaire de notre confort pour retourner ainsi en arrière, je me le demande sincèrement, tout en comprenant le sens de la démarche de la famille Pardo, cette mise « entre parenthèses du monde ». Couper son bois de chauffage, je l’ai déjà fait les fins de semaine, du temps où j’avais une maison de campagne, mais vider tous les trois jours le seau des toilettes sèches « dans le compost prévu à cet effet », ou actionner une pompe à bras pour avoir accès à l’eau potable, sont-ce des gestes poétiques ? La question est posée.