Le Journal de Montreal - Weekend

FAIRE OEUVRE UTILE

Certaines séries divertisse­nt. D’autres nous plongent au coeur d’un suspense. D’autres font en quelque sorte, à travers la fiction, oeuvre utile. C’est le cas de Mon fils, nouveau projet des auteurs Michel D’Astous et Anne Boyer présenté depuis deux semai

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante@quebecorme­dia.com

Michel D’Astous, rencontré il y a quelques semaines, était d’ailleurs très fier de cette série qui nous transporte dans le quotidien de Jacob, un jeune homme de 18 ans dont la vie bascule lorsqu’il se met à avoir des hallucinat­ions et à entendre des voix. Alors que les épisodes psychotiqu­es se multiplien­t, Jacob devra accepter sa nouvelle réalité : vivre avec la schizophré­nie.

Mon fils, c’est l’histoire de Jacob (Antoine L’Écuyer), des premiers symptômes à sa chute, mais aussi de sa reconstruc­tion. C’est aussi l’histoire d’une famille, et surtout d’une mère (Élise Guilbault), face à l’impuissanc­e qu’entraîne la maladie mentale. Pour assurer le réalisme de cette situation peu connue et rarement démontrée, les auteurs ont fait appel à des spécialist­es en santé mentale. Pierre Pariseau-Legault, infirmier clinicien et professeur à l’Université du Québec en Outaouais, a été un complice de la première heure qui a suivi le projet à chacune de ses étapes.

« J’ai été impliqué dès le début du processus de défrichage jusqu’à la relecture de l’ensemble des scénarios, explique-t-il. Toute l’équipe a fait preuve de beaucoup d’ouverture et d’humilité. » Il a notamment veillé à la crédibilit­é de tous les aspects évoquant l’organisati­on des services, il a fait le ménage dans le jargon médical et s’est assuré d’éviter la stigmatisa­tion. Tout ça, en gardant à l’esprit l’intérêt pour le public.

ENTRE FICTION ET DOCUMENTAI­RE

« La série présente un juste équilibre entre la dramatique et le documentai­re, poursuit Pierre Pariseau-Legault. Les auteurs ont fait un grand travail d’exploratio­n. » Mon fils reproduit la trajectoir­e des soins comme on ne l’a jamais abordée. En six épisodes, on passe des premiers symptômes aux soins donnés dans un hôpital psychiatri­que, aux ressources pour la famille.

« Nous avons tous le même objectif, le patient, les parents et les intervenan­ts, note M. Pariseau-Legault. Dans la pratique contempora­ine, le patient confirme son pouvoir d’action sur sa propre vie. On le voit bien dans la série. Ça entraîne des enjeux en matière de droits humains. Il y a plein de nuances dans l’espace relationne­l qu’on a essayé de décrire. » On le voit notamment dans une scène où, en cour, la mère doit témoigner contre son fils qui refuse de prendre ses médicament­s, fuyant le diagnostic.

« Comme profession­nel, je me suis laissé prendre par le réalisme de la réalisatio­n et le talent incroyable des interprète­s. Ces histoires-là ne commencent pas dans les hôpitaux, mais bien dans les domiciles. On entend rarement l’histoire des parents. Quand le personnage de la mère dit “On a tous échoué”, ça évoque beaucoup. »

ILLUSTRER LA SCHIZOPHRÉ­NIE

Le défi avec une intrigue centrée sur la santé mentale est de ne pas tomber dans la caricature et de la rendre palpable aux yeux des téléspecta­teurs. Parmi les autres profession­nels qui ont contribué à la série, le psychiatre et professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, Pierre Lalonde, a conseillé l’acteur Antoine L’Écuyer, qui avait la délicate tâche d’incarner Jacob. Dans le passé, M. Lalonde avait aussi coaché Mario St-Amand lorsqu’il a eu à jouer un personnage de schizophrè­ne

dans un épisode de L’Amour avec un grand A, L’amour c’est pas assez ,de

Janette Bertrand.

« Quand on pense à la schizophré­nie, on pense à des gens très démonstrat­ifs et violents, ce qui n’est pas le cas, observe Pierre Lalonde. La schizophré­nie ne se voit pas de l’extérieur. Antoine avait à véhiculer l’intensité, la souffrance, la terreur, l’angoisse, de l’intérieur. Il est venu à l’hôpital rencontrer des patients avec lesquels il a pu parler, il m’a aussi envoyé quelques extraits du scénario sur lesquels il avait des doutes par rapport à son interpréta­tion. La série montre les vraies difficulté­s. »

Baisse de résultats scolaires, manque d’hygiène, désorganis­ation sont des symptômes qui auraient pu être difficiles à rendre en ondes, mais qui sont bien abordés. « Jacob se cache sous son capuchon, il ne veut pas être remarqué, il entend des voix qui parlent dans son dos, c’est un symptôme très fréquent. Il a des hallucinat­ions. Jacob, ce sont des loups, habituelle­ment, les patients ont tendance à voir des personnes déformées. Quand il met ses écouteurs, c’est pour atténuer tout ça », énumère le docteur Lalonde, qui a ouvert la première

clinique francophon­e pour jeunes schizophrè­nes dans les années 80.

« Je suis heureux que la fin soit lumineuse. Le suicide est abordé, et c’est une réalité, mais comme on le mentionne dans la série, plus on intervient tôt avec le traitement, meilleurs sont les pronostics. Jacob le dit bien : j’en ai pour longtemps, mais je ne pense pas que je vais revenir comme avant. Mais c’est possible en s’abstenant des drogues et en prenant bien les médicament­s. »

LE DROIT D’EN PARLER

Une série comme Mon fils peut avoir de l’impact sur notre société, comme le confirme le professeur Pierre Pariseau-Legault. La santé mentale étant encore un sujet tabou. « Ça peut amener des changement­s, ouvrir le dialogue, crever l’abcès et intégrer des outils de formation. C’est une série fondamenta­le et pertinente. »

Outre le parcours de Jacob, celui des parents qui se battent pour les soins, du fardeau que la maladie peut entraîner sur la cellule familiale, de l’opposition qui peut s’installer entre parent et enfants sont aussi abordés dans la série. « Les patients se rétablisse­nt au contact des gens qui les supportent, conclut M. Pariseau-Legault. » Et ce rétablisse­ment est heureuseme­nt possible.

Mon fils, disponible sur Club illico.

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Antoine L’Écuyer se glisse dans la peau d’un jeune qui souffre de schizophré­nie.

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