Le Journal de Montreal - Weekend

La valeur des pauvres

Après La Daronne, la Française Hannelore Cayre nous revient avec une histoire presque aussi rocamboles­que.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

En 2017, on n’a pas été les seuls à avoir adoré La Daronne. Dans ce roman, l’avocate pénaliste parisienne Hannelore Cayre mettait en effet en scène Patience Portefeux, une truculente veuve de 53 ans. Truculente, parce qu’après avoir passé près de 25 ans à traduire sagement de l’arabe au français toutes les conversati­ons mises sur écoute par la brigade des stups, Patience finira elle-même par se lancer dans le commerce de la drogue. Une histoire haute en couleur qui a été adaptée au grand écran (avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre), mais dont la sortie au cinéma a été reportée. Inutile de dire pourquoi.

En attendant que la situation revienne à la normale, on pourra cependant découvrir Richesse oblige, le sixième – et tout nouveau ! – roman d’Hannelore Cayre.

Hannelore Cayre a toujours beaucoup aimé la littératur­e du XIXe siècle. Car comme elle le dit elle-même, « ça permet d’écrire bien ! » Un jour, elle est donc tombée sur Sébastien Roch, un roman de l’écrivain français Octave Mirbeau dans lequel un père de famille négocie pour son fils l’achat d’un maquignon. « Dans les écoles, on n’enseigne pas la guerre franco-allemande de 1870 parce qu’elle a été éclipsée par la Grande Guerre, explique Hannelore Cayre. On ne connaît donc rien sur cette période, et la vente d’hommes a été oubliée. »

Minicours de rattrapage : en 1869, quand l’Autriche a été vaincue en une seule bataille et que la Prusse a ensuite tourné ses canons vers la France, toutes les familles aisées ont tenté d’acheter des hommes pauvres acceptant de partir au front à la place de leurs fils. « Le remplaceme­nt militaire est une institutio­n qui a duré presque 100 ans en France, précise Hannelore Cayre. Le problème, c’est qu’en 1869, plus personne ne trouvait de pauvres à acheter nulle part. Avec mon mauvais esprit, je me suis dit que le cours du pauvre s’était envolé et qu’il y avait là matière à exploiter ! »

En parallèle, Hannelore Cayre a également été marquée par la lecture d’un tout autre genre de livre :

Le capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty. « Il m’a permis de comprendre en quoi notre société ressemblai­t à celle du XIXe siècle, ajoute-t-elle. L’importance de l’héritage est à peu près au même niveau en 2020 qu’en 1870 : si on n’a qu’un seul salaire et qu’on n’a pas d’héritage, il n’y a à peu près aucun moyen d’accéder à la richesse. À partir de là, il ne me restait qu’à lier les deux histoires : le remplaceme­nt militaire et l’héritage. »

ENQUÊTE GÉNÉALOGIQ­UE

Son liant ? Blanche, le mouton noir de la famille de Rigny.

Simple employée à la reprograph­ie judiciaire, Blanche découvrira un jour tout à fait par hasard l’existence d’un riche cousin oeuvrant dans l’industrie pétrolière. Curieuse d’en apprendre davantage sur ses propres origines, elle entamera ainsi une minutieuse enquête généalogiq­ue, et, surprise ! il y aurait apparemmen­t toujours eu quelques de Rigny extrêmemen­t fortunés. Car, même si la branche dont Blanche est issue n’a jamais connu la prospérité, certaines ramificati­ons de son lignage se sont épanouies dans l’ombre en enchaînant les magouilles. Le tronc commun ? Un fils de bourgeois du nom d’Auguste de Rigny condamné à affronter l’armée prussienne… à moins que son père ne parvienne à lui trouver à temps un remplaçant sans le sou.

Tout comme ce lointain ancêtre, Blanche ne demandera pas mieux que d’échapper à sa condition. Non pas en fuyant la guerre, mais en se disant qu’elle pourrait très bientôt avoir elle aussi sa part d’héritage.

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RICHESSE OBLIGE Hannelore Cayre Éditions Métailié 224 pages
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