Le Journal de Montreal - Weekend

L’ OEIL CRITIQUE DE L’INCREVABLE POÈTE

Toujours aussi amoureux du Québec, mais déçu de la façon dont il a traité ses vieux et inquiet de ce qui attend les jeunes, Claude Gauthier remonte au front en chansons. « Je vais écrire jusque sur mon lit de mort », confie l’increvable poète de 81 ans.

- CÉDRIC BÉLANGER Le Journal de Québec cedric.belanger@quebecorme­dia.com

À l’exemple de bien des artistes de sa génération, Claude Gauthier continue d’observer le monde avec un oeil critique, et ses observatio­ns meublent une bonne partie des chansons de son nouvel album Aux enfants de demain.

Exemple : sur la pièce qui donne son titre à l’album, il interpelle l’égérie de la lutte aux changement­s climatique­s, Greta Thunberg, pour essentiell­ement lui dire qu’elle fait peut-être fausse route.

« Greta, chante M. Gauthier, ce qui m’inquiète, ce n’est pas la planète, mais c’est la société malade, l’humanité. »

En entrevue au Journal, le musicien troubadour en rajoute, toujours en s’adressant à l’adolescent­e suédoise :

« À quoi servirait-il de mettre toutes nos énergies à faire une planète verte et en santé pour y loger des malades de toutes espèces, des moribonds ? Je ne comprends pas ça », lui lance-t-il, par journalist­e interposé, même si les chances que Greta lise ces lignes ou entende la chanson sont minces.

Il reste que les jeunes – « les gardiens de cette planète qui a mal à la tête », dit-il – occupent une place importante sur cet album. La dernière des quatorze chansons au programme s’intitule d’ailleurs Printemps érable et constitue une sorte d’hommage aux manifestat­ions étudiantes de 2012.

« J’avais été très ému de cette situation. Le nom printemps érable, je trouvais que c’était un trait de génie. Et tous ces jeunes descendus dans la rue… »

« IL Y A EU DE LA NÉGLIGENCE… »

Si le sort des jeunes le préoccupe, celui réservé aux personnes âgées, victimes massives et impuissant­es de la COVID-19 dans les CHSLD, le chavire. Le déçoit.

Voir tous les jours des dizaines d’aînés mourir, la plupart sans même que leurs proches puissent leur dire un dernier au revoir, le dépasse.

« Apprendre tout ça a été un coup de poing dans la gueule. Comment se fait-il qu’on en soit arrivé là au Québec ? Il y a eu de la négligence quelque part, il y a eu du mépris, des méprises. »

Ne le partez pas sur le cri de ralliement « Ça va bien aller ». Très peu pour lui, ces élans de positivism­e.

Il jure d’ailleurs que la présence sur la pochette de son album d’une ribambelle d’enfants vêtus aux couleurs de l’arc-enciel n’est que le fruit du hasard.

« Je suis contre cette phrase que je trouve négative, puérile. Ça fait relâcher la garde. C’est pas vrai que ça va bien aller, mais on va travailler tous ensemble pour s’en sortir. C’est ça la vérité. Mais c’est pas vrai que ça va bien aller. La preuve est que ça va très mal, et ce n’est pas fini. »

« Même Gilles Vigneault, enchaîne-t-il, a trempé dans le bain avec une refonte de Gens du pays qui finit par “je vous entends jouer, je vous entends chanter et ça va bien aller”. Je n’ai pas compris pourquoi Gilles est tombé dans ce panneau. On ne défait pas un chef-d’oeuvre de chanson comme ça. »

QUÉBEC, JE T’AIME

Surpris par la crise, Claude Gauthier n’a pu finir le disque qu’il avait en tête. En manque de compositio­ns, il a fouillé dans ses tiroirs, qui abritaient quelques pièces en dormance.

C’est là qu’il a retrouvé Québec, je t’aime, une lettre d’amour à sa patrie qu’il avait composée pour l’album 50 ans plus loin, paru en 2012.

« Je trouvais qu’elle ne cadrait pas avec ce disque. Ce n’était pas la bonne couleur. J’ai décidé d’attendre un jour où il y aurait une urgence nationale ou peu importe. »

Urgence il y eut, ce printemps.

« Je voyais tout le monde avec sa

guitare faire des chansons sur le coin de la table à propos de la pandémie et c’était pas trop, trop bon. Je me suis dit : mon Dieu, j’ai une chanson que j’ai écrite il y a dix ans. Si je disais aux gens du Québec que nous formons un des plus beaux pays au monde et que seuls, mais tous ensemble, on va se relever de cette histoire ? Je l’ai envoyée aux gens de Musicor et ils ont mordu dans la pomme à pleines dents. »

L’album Aux enfants de demain est sur le marché depuis le 15 mai.

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