Le Journal de Montreal - Weekend
UNE SOLITUDE ENSORCELANTE
Une jeune femme, elle n’a pas trente ans, décide de quitter la ville pour s’isoler. Une retraite que l’auteure raconte comme un engourdissement qui charme.
Le titre du roman, Faule, renvoie au prénom de la protagoniste dont on saura finalement bien peu de choses. Elle a un grand besoin de solitude sans que la cause en soit expliquée.
Le décès de sa grand-mère, visiblement aimée, lui laisse un petit héritage qui lui permet de s’installer dans une maison, modeste et mal isolée, de North Hatley.
Faule y arrive en juillet, y passera plus d’une année et demie. Elle ne parle à personne, ne sort que pour de longues promenades ou pour faire rapidement ses courses. Sinon, elle lit, observe et fume en abondance.
En fait, elle se regarde vivre, et grâce à la plume de Sarah Brunet Dragon, qui a déjà signé un essai et un recueil de poésie, l’exercice devient magnifique.
L’ouvrage, publié au tout début mars, acquiert en fait plus de profondeur en raison même du moment de sa parution. Le confinement donne à notre vie de nouveaux reliefs, et c’est là l’âme de ce récit. Ce n’est pas la psychologie du personnage qui compte, mais le regard extérieur que Faule jette sur son environnement.
Ici, c’est donc l’insignifiant du quotidien qui est souligné : le beurre qui grésille dans le poêlon, le ronronnement d’un ventilateur, l’humidité qui s’élève d’un jardin les jours de pluie, le village désert tôt le matin, la clairière quand on va plus loin…
Faule va aussi s’intéresser à son voisin immédiat, musicien taciturne dont la discrétion l’attire, et devient un fantasme.
Son rapport au temps est par ailleurs bousculé : parfois « les journées s’enchaînaient sans heurts », d’autres fois elles deviennent interminables.
Toute cette manière de redécouvrir à tâtons son environnement immédiat a quelque chose d’ensorcelant, que l’auteure rend bien.
Mais, autant pour Faule que pour nous, le charme se rompt avec l’arrivée inattendue de A., une amie qui veut rebâtir des ponts avec elle. Elle sera là quelques jours et ces pages – est-ce voulu ? – apparaîtront lourdes face au reste.
Quand Faule retrouvera sa solitude, un constat s’imposera : après des mois d’isolement, elle a besoin d’argent. Magie de la fiction, elle trouve aussitôt un emploi à la bibliothèque de ce que l’on devine être l’Université de Sherbrooke.
LEÇON D’OBSERVATION
Elle est reléguée au sous-sol, à classer des livres anciens. Un travail « solitaire et répétitif ». À nouveau, la routine des jours est concrètement rendue, et l’immobilité opère sa mystérieuse séduction.
Celle-ci finira par s’essouffler. Mais au dénouement de l’histoire, quand Faule retournera pour de bon à sa vie d’avant, nous n’aurons toujours pas découvert ses secrets.
On aura toutefois saisi comment elle aura vécu chaque moment de cette pause particulière, dans une attention fine à ce qui l’entoure comme on a peu souvent l’occasion de la pratiquer dans une vie.
Cette leçon d’observation a d’autant plus de saveur qu’elle renvoie maintenant à une expérience à laquelle plusieurs peuvent s’identifier.