Le Journal de Montreal - Weekend
Pas toujours facile en confinement
Le confinement est éprouvant pour les personnes aux prises avec des troubles alimentaires. L’anxiété grandissante et l’isolement ne font que rehausser les pensées obsessives envers les aliments. Cette crise sanitaire est vécue difficilement par certains. C’est le cas de Marie-Pier Rouleau, une jeune femme qui souffre d’hyperphagie depuis son adolescence. Confidence d’une femme qui met tout en oeuvre pour rétablir une relation saine avec les aliments !
Marie-Pier est née avec une dysplasie rénale. À l’âge de 22 ans, elle a subi une greffe rénale et elle prend une médication antirejet à vie. Elle souffre également de diabète insulinodépendant. Malgré sa condition de santé, Marie-Pier est une femme enjouée, mais dont les journées sont assombries par un trouble alimentaire qui accapare ses pensées depuis 15 ans. Elle souffre d’hyperphagie boulimique ; elle a des compulsions alimentaires plusieurs fois par semaine avec un sentiment de culpabilité qui en découle. Dans le but d’aider les autres, qui, comme elle, souffrent souvent en silence, elle se confie avec beaucoup de générosité !
Marie-Pier, comment a débuté ton trouble alimentaire ?
J’ai beaucoup souffert d’intimidation, tant au primaire qu’au secondaire. Toutes les raisons étaient bonnes pour me ridiculiser, avec des commentaires blessants, tant sur mon physique que sur mes opinions. Je me suis toujours réfugiée dans la nourriture pour apaiser mes émotions trop intenses.
Quel est l’historique de ton poids ?
Au pire de mes crises alimentaires, mon poids est monté à 230 livres, avec des conséquences négatives évidentes sur mon diabète. Comme plusieurs qui souffrent d’hyperphagie, mon poids fluctue beaucoup. Je suis passée de 128 livres à plus de 200, un yo-yo associé aux nombreuses tentatives que je faisais pour perdre du poids et aux crises de compulsion qui suivaient les périodes de restriction. Après avoir consulté une nutritionniste, j’ai perdu 50 livres sainement, sans faire de régimes restrictifs, mais en améliorant tout simplement mes habitudes alimentaires.
Quel est l’impact de la COVID-19 sur ton trouble alimentaire ?
La situation de confinement a été très éprouvante pour moi. J’ai perdu mon emploi de chauffeur d’autobus scolaire et je me suis retrouvée avec ma fille de 6 ans à la maison à temps plein. L’ennui et la solitude m’amènent des pensées négatives qui déclenchent des compulsions alimentaires. Les soirées sont les plus difficiles pour moi, je peux manger plein de biscuits, des craquelins au fromage, des tranches de pain, bref une quantité énorme d’aliments en un court laps de temps. Souffrant beaucoup d’insomnie, je me lève souvent la nuit pour compulser à nouveau. La sensation physique du ventre qui semble vouloir exploser est très désagréable sans compter le grand sentiment de culpabilité et de honte après chaque compulsion. Les crises étaient quotidiennes.
Que fais-tu pour t’en sortir ?
C’est un travail de longue haleine que je fais sur moi pour apprendre à mieux gérer mon anxiété, laquelle déclenche souvent les crises. En plus d’être suivie par une nutritionniste, je consulte une psychothérapeute qui m’aide beaucoup. Mes compulsions ont diminué depuis que je fais des exercices de méditation et de pleine conscience. Je bouge de plus en plus avec ma fille aussi et cela me fait le plus grand bien. Récemment, j’ai vu une publicité de crème glacée qui accaparait toutes mes pensées, je ne pouvais résister et j’ai pris ma voiture pour aller à l’ouverture de la crèmerie. J’ai pris un moment pour me calmer, prendre conscience de mes pensées et je suis entrée prendre le plus petit format de glace que j’ai dégusté en pleine conscience. J’étais fière de moi, j’ai savouré au lieu d’engloutir !
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souffre en silence d’hyperphagie ?
D’y aller un jour à la fois, de ne pas se fixer d’objectifs trop précis (comme perdre 75 livres pour telle date) ce qui ne peut qu’amener trop de pression, de consulter des experts, d’apprendre à s’aimer aussi.