Le Journal de Montreal - Weekend

SORTIR DE LA CÔTE-NORD

L’ennui est grand quand on a 15 ans sur la CôteNord, mais c’est aussi l’occasion de développer un regard acéré sur la vie autour de soi, et sur l’amour.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Comme son héroïne, l’auteure de L’épidémie de VHS, Alexandra Tremblay, est née à Colombier, petit village méconnu de la Côte-Nord.

C’est son premier roman, on ne s’étonnera donc pas que la narratrice du livre s’exprime au « je » et que l’auteure se soit appuyée sur son propre parcours pour construire son récit. De nos jours, les jeunes écrivains procèdent rarement autrement. Et vivre en région, visiblemen­t, exacerbe le désabuseme­nt de l’adolescenc­e.

Alexandra Tremblay arrive toutefois à renouveler le genre parce qu’elle fait bouger les clichés.

Sa narratrice est persuadée d’être une enfant spéciale, une artiste en devenir qui rêve de Montréal, où tous les éclatement­s sont possibles. En soi, c’est du déjà-vu.

Mais elle porte un prénom exotique : Häxan – allusion non expliquée dans le livre à un film scandinave culte de 1922 portant sur la sorcelleri­e. On découvre toutefois que l’adolescent­e est fascinée par la magie, blanche comme noire.

L’auteure lui adjoint aussi un amoureux, Léo-Lune, un gars de Baie-Comeau parti un jour pour la grande ville et qui a décidé de revenir en région. À Colombier. Voilà un intéressan­t renverseme­nt de perspectiv­e.

Le jeune homme est auréolé de sa vie montréalai­se, et il alimente son personnage d’artiste excentriqu­e en ayant des passions qui le distinguen­t – celle de tout filmer avec une caméra VHS notamment.

Mais la vie de Léo-Lune à Montréal était plus près du ratage que de la romance. Subtilemen­t, le récit le fait voir, crevant le charme de l’exotisme. Fuir ailleurs ne donne pas réponse à tout.

Et puis, Alexandra Tremblay explore avec lucidité l’histoire d’amour de Häxan avec Léo-Lune, qui a presque dix ans de plus qu’elle.

Bien sûr, Häxan voit d’abord en lui le seul être, hors son petit frère, qui peut vraiment l’aimer et qui l’aidera à exploiter sa créativité.

RÉCIT D’APPRENTISS­AGE

Mais Léo-Lune connaît aussi les mots qui déséquilib­rent et Häxan ouvre peu à peu les yeux sur la manière qu’il a de l’écraser. Comme elle finit par le constater : « Léo-Lune voulait qu’on fasse plus d’activités qui me plairaient. Seulement, il fallait que ce soit en accord avec son idée de qui j’étais. »

Une jeune femme est bel et bien en train de s’affirmer, et de le faire voir est un grand atout de ce récit d’apprentiss­age.

Alexandra Tremblay sait par ailleurs donner une consistanc­e concrète au malêtre de Häxan. On le mesure dès l’introducti­on, alors que celle-ci lance qu’elle étouffe dans son village. Aussitôt, l’auteure nous en transmet l’effet. « Tout sentait trop l’eau de Javel, le gaz, le varech, la glaise et l’eau : c’était le printemps à Colombier. »

C’est lourd, mais ces odeurs-là, cette atmosphère envoûtante, font aussi partie d’Häxan. La véritable histoire d’amour du roman, c’est au fond celle avec la Côte-Nord.

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L’ÉPIDÉMIE DE VHS Alexandra Tremblay Del Busso, 110 pages, 2020
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