Le Journal de Montreal - Weekend
POUR PRÉVENIR LA COVID-19 ?
Dans un commentaire récemment publié dans le prestigieux Science ,des immunologistes proposent d’utiliser le vaccin vivant atténué contre la polio (Sabin) pour immuniser de façon non spécifique contre la COVID-19.
La vaccination demeure l’intervention la plus efficace pour se prémunir contre les maladies infectieuses. C’est d’ailleurs pour cette raison que des efforts considérables sont présentement déployés pour développer un vaccin contre le coronavirus responsable de la COVID-19. L’immunisation peut se faire avec des vaccins atténués (vivants, mais avec une virulence considérablement réduite) ou encore inactivés (particules virales inactivées), ce qui induit dans les deux cas une immunité adaptative à long terme spécifique, caractérisée par la production d’anticorps neutralisants et l’activation d’une réponse immunitaire impliquant les lymphocytes T.
IMMUNITÉ NON SPÉCIFIQUE
Plusieurs études indiquent que les vaccins vivants atténués possèdent également la capacité d’induire une protection plus large contre d’autres agents pathogènes non apparentés. Le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO), développé par Albert Sabin dans les années 50, représente en ce sens un candidat très intéressant : des études cliniques ont montré qu’en plus de protéger contre la poliomyélite, le VPO était capable de réduire l’infection provoquée par d’autres virus, par exemple l’influenza (1). Un essai clinique randomisé (ECR) en Afrique de l’Ouest a montré que le VPO administré à la naissance réduisait la mortalité infantile d’environ 32 %, une protection qui ne peut s’expliquer seulement par une protection contre la polio (2).
Ces effets bénéfiques non spécifiques ne se limitent pas au VPO : des ECR ont montré que le vaccin contre la rougeole était associé à une réduction de 30 % de la mortalité globale chez les enfants ; 4 % seulement de cette baisse s’expliquant par la prévention de la rougeole comme telle (2). Même chose pour le bacille Calmette-Guérin (BCG) utilisé contre la tuberculose : une étude réalisée au Danemark a montré que l’administration de ce vaccin lors de l’entrée à l’école (5 à 6 ans) était associée à une réduction de 42 % du risque de mourir de causes naturelles avant l’âge de 45 ans (3), une protection encore ici beaucoup plus importante que celle simplement associée à la prévention de la tuberculose. Il est cependant important de noter que les vaccins non vivants (inactivés) ne semblent pas avoir les mêmes effets, ce qui suggère que les pathogènes atténués sont capables d’induire une réponse immunitaire plus large. Au Québec, le vaccin contre la rougeole est atténué, mais celui contre la polio est inactivé (vaccin Salk).
IMMUNITÉ INNÉE
La protection croisée offerte par les vaccins vivants atténués implique fort probablement une activation de l’immunité innée, c’est-à-dire les défenses immunitaires de première ligne qui sont activées par la présence d’un agent étranger (l’interféron, entre autres). Cette défense innée est essentielle pour permettre au corps de combattre rapidement l’agent infectieux, tout en donnant du temps au système immunitaire de développer une réponse plus spécifique (immunité adaptative), en sélectionnant les anticorps et les lymphocytes T capables de neutraliser le virus.
Cette activation de l’immunité innée par les vaccins vivants atténués est très intéressante dans le contexte de la pandémie de COVID-19 actuelle. Il a été récemment rapporté que le virus responsable de cette maladie (SARS-CoV-2) entraîne une réponse immunitaire anormale, avec une suppression des réponses immunitaires innées (interférons) et une production disproportionnée de cytokines inflammatoires (4). Par conséquent, la stimulation par des vaccins vivants atténués de l’immunité innée pourrait augmenter la résistance à l’infection par le SARS-CoV-2, en particulier chez ceux dont l’immunité n’est pas optimale, les personnes âgées notamment. Des études cliniques utilisant le BCG sont en cours et devraient permettre de déterminer si cette activation de l’immunité innée peut effectivement réduire l’incidence de COVID-19.
Selon les auteurs du commentaire, le VPO pourrait s’avérer être une avenue encore plus intéressante que le BCG (5). Premièrement, le VPO est plus sécuritaire : alors que jusqu’à 1 % des personnes vaccinées avec le BCG développent des effets indésirables, le risque de complications dues au VPO est extrêmement faible (1 cas pour 3 millions de doses de vaccin). Deuxièmement, le poliovirus et le coronavirus sont tous les deux des virus à ARN à brin positif ; puisque les interférons sont activés en réponse aux ARN viraux, il est probable que les deux virus induisent l’activation de l’immunité innée de façon similaire. Enfin, le VPO est facile d’administration (par voie orale), peu dispendieux et très accessible, avec plus d’un milliard de doses qui sont produites et utilisées chaque année.
La stratégie de provoquer une protection non spécifique au coronavirus avec le VPO pourrait être valable même si on parvient à développer un vaccin spécifique au SARS-CoV-2 au cours des prochains mois. On connaît encore très mal ce virus et il n’est pas exclu qu’il puisse muter rapidement, d’une façon similaire à l’influenza, et que cette dérive antigénique compromette l’efficacité du vaccin spécifique. Le vaccin VPO serait alors encore plus pertinent.
▪ (1) Voroshilova MK. Potential use of nonpathogenic enteroviruses for control of human disease Prog. Med. Virol. 1989 ; 36 : 191-202.
▪ (2) Aaby P et CS Benn. Developing the concept of beneficial non-specific effect of live vaccines with epidemiological studies. Clin. Microbiol. Infect. 2019 ; 25 : 1459-1467
▪ (3) Rieckmann A et coll. Vaccinations against smallpox and tuberculosis are associated with better longterm survival: a Danish case-cohort study 1971-2010. Int. J. Epidemiol. 2017 ; 46 : 695-705.
▪ (4) Blanco-Melo D et coll. Imbalanced host response to SARS-CoV-2 drives development of COVID-19. Cell 2020 ; 181 : 1036-1045.
▪ (5) Chumakov K et coll. Can existing live vaccines prevent COVID-19? Science 2020 ; 368 : 1187-1188.