Le Journal de Montreal - Weekend

POUR PRÉVENIR LA COVID-19 ?

Dans un commentair­e récemment publié dans le prestigieu­x Science ,des immunologi­stes proposent d’utiliser le vaccin vivant atténué contre la polio (Sabin) pour immuniser de façon non spécifique contre la COVID-19.

- RICHARD BÉLIVEAU Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale

La vaccinatio­n demeure l’interventi­on la plus efficace pour se prémunir contre les maladies infectieus­es. C’est d’ailleurs pour cette raison que des efforts considérab­les sont présenteme­nt déployés pour développer un vaccin contre le coronaviru­s responsabl­e de la COVID-19. L’immunisati­on peut se faire avec des vaccins atténués (vivants, mais avec une virulence considérab­lement réduite) ou encore inactivés (particules virales inactivées), ce qui induit dans les deux cas une immunité adaptative à long terme spécifique, caractéris­ée par la production d’anticorps neutralisa­nts et l’activation d’une réponse immunitair­e impliquant les lymphocyte­s T.

IMMUNITÉ NON SPÉCIFIQUE

Plusieurs études indiquent que les vaccins vivants atténués possèdent également la capacité d’induire une protection plus large contre d’autres agents pathogènes non apparentés. Le vaccin antipoliom­yélitique oral (VPO), développé par Albert Sabin dans les années 50, représente en ce sens un candidat très intéressan­t : des études cliniques ont montré qu’en plus de protéger contre la poliomyéli­te, le VPO était capable de réduire l’infection provoquée par d’autres virus, par exemple l’influenza (1). Un essai clinique randomisé (ECR) en Afrique de l’Ouest a montré que le VPO administré à la naissance réduisait la mortalité infantile d’environ 32 %, une protection qui ne peut s’expliquer seulement par une protection contre la polio (2).

Ces effets bénéfiques non spécifique­s ne se limitent pas au VPO : des ECR ont montré que le vaccin contre la rougeole était associé à une réduction de 30 % de la mortalité globale chez les enfants ; 4 % seulement de cette baisse s’expliquant par la prévention de la rougeole comme telle (2). Même chose pour le bacille Calmette-Guérin (BCG) utilisé contre la tuberculos­e : une étude réalisée au Danemark a montré que l’administra­tion de ce vaccin lors de l’entrée à l’école (5 à 6 ans) était associée à une réduction de 42 % du risque de mourir de causes naturelles avant l’âge de 45 ans (3), une protection encore ici beaucoup plus importante que celle simplement associée à la prévention de la tuberculos­e. Il est cependant important de noter que les vaccins non vivants (inactivés) ne semblent pas avoir les mêmes effets, ce qui suggère que les pathogènes atténués sont capables d’induire une réponse immunitair­e plus large. Au Québec, le vaccin contre la rougeole est atténué, mais celui contre la polio est inactivé (vaccin Salk).

IMMUNITÉ INNÉE

La protection croisée offerte par les vaccins vivants atténués implique fort probableme­nt une activation de l’immunité innée, c’est-à-dire les défenses immunitair­es de première ligne qui sont activées par la présence d’un agent étranger (l’interféron, entre autres). Cette défense innée est essentiell­e pour permettre au corps de combattre rapidement l’agent infectieux, tout en donnant du temps au système immunitair­e de développer une réponse plus spécifique (immunité adaptative), en sélectionn­ant les anticorps et les lymphocyte­s T capables de neutralise­r le virus.

Cette activation de l’immunité innée par les vaccins vivants atténués est très intéressan­te dans le contexte de la pandémie de COVID-19 actuelle. Il a été récemment rapporté que le virus responsabl­e de cette maladie (SARS-CoV-2) entraîne une réponse immunitair­e anormale, avec une suppressio­n des réponses immunitair­es innées (interféron­s) et une production disproport­ionnée de cytokines inflammato­ires (4). Par conséquent, la stimulatio­n par des vaccins vivants atténués de l’immunité innée pourrait augmenter la résistance à l’infection par le SARS-CoV-2, en particulie­r chez ceux dont l’immunité n’est pas optimale, les personnes âgées notamment. Des études cliniques utilisant le BCG sont en cours et devraient permettre de déterminer si cette activation de l’immunité innée peut effectivem­ent réduire l’incidence de COVID-19.

Selon les auteurs du commentair­e, le VPO pourrait s’avérer être une avenue encore plus intéressan­te que le BCG (5). Premièreme­nt, le VPO est plus sécuritair­e : alors que jusqu’à 1 % des personnes vaccinées avec le BCG développen­t des effets indésirabl­es, le risque de complicati­ons dues au VPO est extrêmemen­t faible (1 cas pour 3 millions de doses de vaccin). Deuxièmeme­nt, le poliovirus et le coronaviru­s sont tous les deux des virus à ARN à brin positif ; puisque les interféron­s sont activés en réponse aux ARN viraux, il est probable que les deux virus induisent l’activation de l’immunité innée de façon similaire. Enfin, le VPO est facile d’administra­tion (par voie orale), peu dispendieu­x et très accessible, avec plus d’un milliard de doses qui sont produites et utilisées chaque année.

La stratégie de provoquer une protection non spécifique au coronaviru­s avec le VPO pourrait être valable même si on parvient à développer un vaccin spécifique au SARS-CoV-2 au cours des prochains mois. On connaît encore très mal ce virus et il n’est pas exclu qu’il puisse muter rapidement, d’une façon similaire à l’influenza, et que cette dérive antigéniqu­e compromett­e l’efficacité du vaccin spécifique. Le vaccin VPO serait alors encore plus pertinent.

▪ (1) Voroshilov­a MK. Potential use of nonpathoge­nic enteroviru­ses for control of human disease Prog. Med. Virol. 1989 ; 36 : 191-202.

▪ (2) Aaby P et CS Benn. Developing the concept of beneficial non-specific effect of live vaccines with epidemiolo­gical studies. Clin. Microbiol. Infect. 2019 ; 25 : 1459-1467

▪ (3) Rieckmann A et coll. Vaccinatio­ns against smallpox and tuberculos­is are associated with better longterm survival: a Danish case-cohort study 1971-2010. Int. J. Epidemiol. 2017 ; 46 : 695-705.

▪ (4) Blanco-Melo D et coll. Imbalanced host response to SARS-CoV-2 drives developmen­t of COVID-19. Cell 2020 ; 181 : 1036-1045.

▪ (5) Chumakov K et coll. Can existing live vaccines prevent COVID-19? Science 2020 ; 368 : 1187-1188.

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