Le Journal de Montreal - Weekend

Un vibrant hommage a son père

- MICHÈLE LEMIEUX

En publiant un long texte en réaction au décès de George Floyd, Gregory Charles a rendu un vibrant hommage à son père, Lennox Charles, qui avait jadis marché aux côtés de Martin Luther King. Aujourd’hui, c’est à Gregory de prendre la parole pour que sa fille grandisse dans un monde plus équitable. Récemment, tu as partagé un message qui a suscité énormément de réactions. As-tu senti à quel point tu avais touché beaucoup de gens ?

Oui, mais je ne l’ai pas fait en pensant qu’autant de gens allaient le lire et réagir. La première fois que j’ai vu les images [de George Floyd], j’étais avec ma fille de huit ans. Il fallait lui expliquer ces événements alors que, dans notre monde, on ne voit ce genre de violence qu’en regardant des batailles de superhéros... Comment expliquer cette indifféren­ce ? Que quelqu’un, les mains dans les poches, garde son genou sur le cou d’un individu et le laisse mourir... À l’âge de ma fille, j’avais une vague compréhens­ion de la différence de couleur. Je venais de rentrer à l’école. J’avais eu des échanges houleux au début de l’année parce que les enfants peuvent être cruels face à la différence, mais pas tant… Je viens d’un village où il n’était pas si exceptionn­el que je sois le seul Noir. En essayant d’expliquer tout cela à ma fille, je me suis souvenu de tout ce que mon père a vécu et m’a raconté.

Parce que ton père a vécu bien des événements déterminan­ts sur ce plan ?

Oui, il a d’abord participé au mouvement d’indépendan­ce de son propre pays, Trinidad ; il a marché avec Martin Luther King. Mon père était rempli de compassion. Il trouvait que la meilleure manière de répondre à la violence et à l’insulte était de montrer humanité, respect et amour. Mon père aurait d’abord pensé au drame que cela représente pour la fille de ce monsieur et pour sa famille. Ensuite, il aurait probableme­nt pensé que c’était une occasion de trouver un consensus. Pour un monsieur de 6 pieds 2 pouces, mon père essayait toujours de réagir avec douceur, mais la tête haute. Quelle qu’ait été la couleur de peau de la victime, nous aurions tous été bouleversé­s, mais l’élément supplément­aire est l’abus de la population noire par la population blanche. Mon père serait fier de cette solidarité qu’on voit actuelleme­nt à travers le monde.

J’ai été scandalisé­e d’apprendre que ton grand-père est né dans une plantation...

C’est l’un des griefs des Noirs d’Amérique : on a aboli l’esclavage dans les années 1820, mais il a fallu une centaine d’années avant de l’abolir vraiment. Même chose pour le droit de vote. Il a été reconnu aux Noirs en 1865, mais ils ne l’avaient toujours pas en 1965. C’est l’une des raisons qui font en sorte que les gens en ont ras le bol. Mon père se servait de ces informatio­ns pour évoquer les progrès qui ont été faits. Je n’oublierai jamais le jour où j’ai acheté ma première maison. J’ai invité mon père à la visiter et il m’a dit : « Tu sais, ton grand-père n’avait pas droit à la propriété... Regarde : tu as une maison. » Il me rappelait que lorsqu’il s’est marié avec ma mère, en 1967, un mariage entre un Noir et une Blanche était interdit dans 38 États américains.

Pour préserver leurs enfants, les parents noirs ont, semble-t-il, un jour ou l’autre, une discussion avec eux au sujet du rapport qu’ont les Noirs avec les policiers...

Oui, et ce que le public ignore, c’est que tous les gens de couleur ont été profilés par la police. Ça m’est arrivé régulièrem­ent de devoir sortir de mon véhicule parce qu’on était à la recherche d’une personne noire. Les gens de couleur me disent que, si moi je n’ai pas de passedroit, qu’on imagine comment ça se passe pour eux !

Gardes-tu espoir que les choses s’améliorent ?

Il faut poser des gestes. Le défi, c’est de ne pas se fâcher, mais il ne faut pas accepter le statu quo. Comme le disait mon père : « Un peu de discrimina­tion, c’est trop de discrimina­tion. » Il faut reconnaîtr­e que c’est naturel pour l’être humain de discrimine­r et qu’il faut se battre contre cette tendance.

Gardes-tu espoir de voir ta fille grandir dans un monde plus juste ?

Lorsque nous regardons tous ces gens à travers le monde qui souhaitent que ça change, je me dis que c’est possible.

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GREGORY CHARLES

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