Le Journal de Montreal - Weekend

ESSAI DES OIES BLANCHES ET DES HUMAINS

Quel livre magnifique, qui redonne le goût du pays et de la nature à travers l’histoire des grandes oies blanches, appelées par les chercheurs Grandes Oies des neiges, et de leurs migrations. L’auteur, Gérald Baril, « mercenaire des communicat­ions », raco

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

On ne peut prétendre connaître le Québec si on n’a pas effectué, un jour ou l’autre, le pèlerinage du printemps pour observer de près ces milliers de voiliers blancs. Quel magnifique spectable de les voir se poser sur les battures du fleuve, après un voyage en formation V de presque mille kilomètres et après avoir volé à une altitude dépassant parfois les dix mille mètres, avec des vitesses de pointe pouvant atteindre les 95 kilomètres par heure.

Pourquoi nous fascinent-elles autant ? se demande l’ornitholog­ue amateur. Sont-ce leur nombre en forte croissance, soit près d’un million d’individus ? Leur comporteme­nt grégaire ? Leur beauté dans le ciel lorsqu’elles volent « en bataillons rangés mettant en évidence leur solidarité » ? Leur « cacardage » si caractéris­tique au-dessus de nos têtes, semblable à « un aboiement rauque » ? Est-ce parce que l’arrivée des oies blanches « par les routes de l’air » coïncide avec la venue du printemps et avec la fonte des neiges ?

PAUSE BIEN MÉRITÉE

L’auteur a exploré notre patrimoine littéraire, de Félix Leclerc à Félix-Antoine Savard, en passant par Gabrielle Roy, Jean Provencher, Hubert Reeves, Marcel Dubé et Pierre Morency, ce poète de Québec qui a abondammen­t écrit sur les oiseaux. C’est justement ce rapprochem­ent avec Morency qui le conduit jusqu’à la demeure de ce dernier, sur une pointe secrète de l’île d’Orléans, une fois passés les villages de Saint-Pierre et de Sainte-Famille, où il pourra observer de près, au printemps, le comporteme­nt de ces oiseaux migrateurs venus effectuer une pause bien méritée pour se nourrir et se reposer avant de poursuivre leur long voyage vers la Terre de Baffin pour s’y reproduire.

L’historien Jean Provencher décrit merveilleu­sement bien leur arrivée sur nos terres : « Parvenues au Saint-Laurent, en volées considérab­les, à l’altitude élevée de 600 mètres, elles tournent vers l’est et suivent le fleuve ou le bord des Laurentide­s jusqu’au cap Tourmente. Puis, soudain, reconnaiss­ant leur aire de repos, elles se mettent toutes à tomber comme des feuilles mortes. Le chasseur dit alors qu’elles cassent les ailes. »

Ce que Baril découvre est fascinant. Les oies blanches — certaines arborent même un plumage gris-bleu — mangent par petits groupes d’une centaine d’oies, tandis que des sentinelle­s postées tout autour montent la garde, prêtes à aviser la troupe en cas de danger. Les oies acceptent volontiers la mixité. Parmi elles, notre observateu­r note la présence de canards sauvages, colverts, bernaches et autres outardes. Un spectacle haut en couleur, sans cesse en mouvements au gré des départs et des arrivées des autres membres de la troupe. Puis soudain, une apparition, un modèle unique qui se distingue au milieu de la masse ailée : une oie rieuse, reconnaiss­able à son bec jaune et à sa tache blanche sur son front couleur cendrée. Une espèce très rare en cette contrée, selon les dires du poète Morency.

Entre deux promenades, Baril nous entretient du faucon pèlerin, de l’urubu à tête rouge, de la buse à queue rousse, du passerin indigo mâle « d’un bleu chatoyant », du colibri, de la bécassine, du martinet ramoneur, du martin-pêcheur et du tangara écarlate, entre autres espèces volatiles.

TROIS MILLE KILOMÈTRES

Lorsque les oies auront emmagasiné suffisamme­nt d’énergie, après un broutage intensif de trois à quatre semaines, elles reprendron­t leur vol jusqu’au Nunavut, un trajet de trois mille kilomètres, non sans s’être arrêtées en cours de route pour se ravitaille­r.

Comment font-elles pour s’orienter, même par temps nuageux ? Qu’est-ce qui déclenche le mécanisme du départ et du retour collectifs ? Les oies ontelles une mémoire qui ferait qu’elles reviennent au même endroit tous les ans ? Baril fait encore appel à la littératur­e pour répondre à ces questions, dont l’écrivaine suédoise Selma Lagerlöf, première femme à remporter le prix Nobel de littératur­e.

Cet ouvrage est un baume pour l’âme par temps de pandémie. Je le recommande fortement pour dissiper tous ces nuages sombres qui flottent au-dessus de nos têtes.

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SI PRÈS, SI LOIN, LES OIES BLANCHES/RÉCIT D’UNE MIGRATION INTÉRIEURE Gérald Baril Éditions XYZ
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