Le Journal de Montreal - Weekend
UN FILM SUR L’AMITIÉ
La plus en vue des cinéastes indépendantes américaines signe First Cow, présenté l’an dernier au Festival de Telluride, puis à la Berlinale. Interrompue par la pandémie de COVID-19 en mars dernier, la sortie du film s’est donc faite vendredi, et Kelly Reichardt a accepté de parler de sa démarche.
First Cow, c’est l’histoire de deux hommes, Cookie Figowitz (John Magaro) et King Lu (Orion Lee), dans l’Oregon de 1820. Le premier est cuisinier pour des trappeurs. Le deuxième, un émigrant chinois, vient de tuer un homme. « Cela fait plusieurs années que je pense à adapter The Half-Life [le roman de Jonathan Raymond, NDLR]. Nous en avons longuement parlé tous les deux. J’ai été attirée par le personnage de Cookie – celui de King Lu a été composé de deux personnages du roman –, par l’amitié entre les deux hommes ainsi que par l’examen de l’Amérique corporative. »
« Nous avons conservé les thèmes et les personnages du roman, mais nous avons effectué certains changements. Il n’y a pas de vache, par exemple. Nous avons donc dû développer une nouvelle manière d’explorer certains thèmes », a-t-elle indiqué à l’Agence QMI. Car Cookie et King Lu se mettent à voler le lait de la vache de Chief Factor (Toby
Jones), un riche Britannique, afin de confectionner des espèces de beignets qu’ils vendront ensuite.
« Je ne cherche rien de spécifique [quand je lis une nouvelle ou un roman que j’ai envie d’adapter]. Je collabore avec Jonathan Raymond depuis plusieurs longs métrages et nous sommes amis, nous parlons donc régulièrement des projets que nous avons envie de réaliser. »
MINIMALISME…
« Je suis attirée par la manière dont les gens fonctionnent dans leur environnement. S’il y a un bon maillage possible [des protagonistes] avec leurs combats quotidiens, parfois il s’agit de choses à petite échelle, comme par exemple d’étudier la manière dont une communauté va tisser des liens », a-t-elle dit.
Kelly Reichardt a puisé une partie de son inspiration dans Ugetsu du Japonais Kenji Mizoguchi ainsi que dans la
Trilogie d’Apu de Satyajit Ray. Sans pour autant comparer First Cow àces oeuvres, elle a souligné qu’il s’agit « de lieux intimes. J’aime la manière dont la caméra de Satyajit Ray est par terre, en train de suivre les personnages dans leurs gestes quotidiens. Il a également une manière très économe de tourner des scènes de la vie paysanne en Inde. C’est quelque chose de très simple, qui possède une beauté minimaliste. L’histoire est incorporée dans chaque plan, y compris dans la manière dont la caméra se déplace. L’esprit de ses films ne peut pas être copié, on peut simplement s’en inspirer ».
Les paysages de forêt, « tout est en hauteur, horizontal » l’ont poussée à choisir un format quatre tiers. Les tableaux de Frederic Remington l’ont aiguillée sur les couleurs. Et la musique de William Tyler vient appuyer certaines actions. « Fondamentalement, c’est un film sur l’amitié », a souligné Kelly Reichardt. Mais la réalisatrice convient que le propos de First Cow est aussi d’actualité, même en cette période de pandémie et de quarantaine renouvelée aux États-Unis.
« Oui, le film est aussi une histoire d’émigration. Il y a donc des thèmes qui font écho à ce qui se passe aujourd’hui. Je ne sais pas si je suis déjà capable de parler de ce qui se passe, d’appréhender la réalité, mais oui [le film aborde des] choses avec lesquelles les gens ont du mal en ce moment. »
« Quand on parle du commerce des peaux de castor, dans la région qui est aujourd’hui Portland, en Oregon, le personnage de Chief Factor a pour modèle les dirigeants de la Baie d’Hudson ainsi que d’autres de compagnies qui s’étaient lancées dans ce commerce. Ce personnage parle de l’exploitation des terres et de la manière dont la vie des habitants sera grandement affectée. »
First Cow a pris l’affiche au Québec
vendredi.