Le Journal de Montreal - Weekend

DE CAPTIVANTE­S VIES BANALES !

Une très sympathiqu­e histoire née d’un manque d’inspiratio­n ? C’est ce que nous propose l’écrivain français David Foenkinos avec La famille Martin, son 17e roman.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Lorsqu’on enchaîne les romans depuis près de 20 ans, arrive forcément un temps où on se demande quel genre d’histoire on va encore bien pouvoir inventer. C’est en tout cas exactement ce à quoi va être confronté le narrateur de La famille Martin. Narrateur dont on ne connaîtra du reste jamais le nom, mais qui pourrait fort bien être David Foenkinos en personne.

« J’adore la fiction et, contrairem­ent à Christine Angot ou Emmanuel Carrère, je parle peu de moi dans mes livres, explique l’écrivain, qu’on a pu joindre à Paris vers la mi-novembre. Mais là, c’est comme si j’avais eu besoin de faire une pause avec l’invention. J’avais envie de réalité, envie de donner congé à mon imaginatio­n. »

Alors tel qu’on ne va pas tarder à le découvrir en lisant La famille Martin, son narrateur va descendre dans la rue et aborder la première personne qu’il croisera, en se fixant une directive toute simple : quoi qu’il arrive, cette personne deviendra l’héroïne de son prochain roman. Si, si ! Et coup de chance incroyable, il va tomber sur Madeleine Tricot, une vieille dame qui a jadis travaillé dans le milieu de la mode, notamment auprès du célèbre grand couturier Karl Lagerfeld. Mieux encore, cette vieille dame a également une fille, Valérie Martin, et c’est cette fille qui va très vite voler la vedette à sa mère. Car elle a beau mener une vie franchemen­t ordinaire, elle aura plein de choses à raconter. Sur son métier de prof d’histoire-géo, pour lequel elle n’éprouve plus que lassitude, sur sa soeur Stéphanie, qui s’est installée aux États-Unis il y a belle lurette, et sur son couple qui, englué dans la routine après 25 ans de vie commune et deux enfants, commence hélas à battre de l’aile.

UN ORDINAIRE ROMANESQUE

« Je me suis rendu compte que les gens adoraient parler d’eux, souligne David Foenkinos. Chaque fois que je fais des dédicaces, les gens viennent me voir non pas pour me parler de mon livre, mais pour que je parle d’eux, pour me dire : “Vous devriez raconter ma vie !” »

« Le point de départ de La famille Martin est donc tout à fait réel, poursuit l’écrivain. Par fatigue d’inventer des histoires, j’ai vraiment abordé dans la rue une femme qui a travaillé dans la mode et qui, par la suite, m’a présenté sa fille. Mais après, je me suis permis quelques libertés et le roman est un patchwork de tout ce que j’ai pu récolter. Mes deux derniers livres [Vers la beauté et Deux soeurs] étaient assez sombres, douloureux, et j’ai voulu renouer avec le côté ludique : je trouvais amusant que les lecteurs puissent se demander si oui ou non telle ou telle chose s’était produite dans la réalité. »

Il faut savoir qu’à la base, David Foenkinos estime qu’il y a une grande force romanesque dans l’ordinaire. « J’ai le sentiment que tout est question de point de vue, que tout est potentiell­ement intéressan­t, précise-t-il. Y compris les vies où il ne se passe pratiqueme­nt rien. L’usure du couple est par exemple un thème on ne peut plus classique, on ne peut plus récurrent. Il n’en demeure pas moins que c’est une tragédie intime, et pour ceux qui vivent ça, ce n’est pas du tout anodin. »

BIENVENUE CHEZ LES MARTIN

Pour les besoins de son roman, le narrateur ne tardera donc pas à rencontrer toute la famille de Valérie. D’abord Patrick, son mari, qui subit un stress énorme depuis l’arrivée d’un nouveau directeur au sein de la compagnie d’assurances pour laquelle il travaille. Et puis Lola, 17 ans, et Jérémie, 15 ans, qui sont à peu près comme tous les ados de cet âge : indolents et peu bavards.

Mais même si les Martin sont d’une grande banalité, on ne s’ennuiera pas un seul instant en leur compagnie. « C’est qu’à partir du moment où un romancier va entrer dans leur famille, tout va partir en vrille assez vite parce que chacun d’eux voudra être intéressan­t, assure David Foenkinos. Toutes les familles ont des failles, des mystères, des secrets, et j’en ai profité pour aborder des thèmes qui me passionnen­t, comme l’adolescenc­e, l’éveil à la vie amoureuse, le harcèlemen­t au travail ou la dépossessi­on de son autonomie quand on devient âgé et que les autres décident à notre place. »

Il en résulte un vrai roman qui procure un immense plaisir.

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LA FAMILLE MARTIN David Foenkinos Éditions Gallimard 240 pages

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