Le Journal de Montreal - Weekend

UN CLASSIQUE INSTANTANÉ

- JEAN-DOMINIC LEDUC Collaborat­ion spéciale

En cette copieuse rentrée automnale 2020, plusieurs albums d’auteurs québécois ont su se démarquer : l’époustoufl­ant La Bombe (Denis Rodier, Glénat) ; le poignant Vous avez détruit la beauté du monde (Christian Quesnel, Moelle Graphik) ; l’étonnant Aliss (Jeik DIon, Front froid/Alire) ; l’incandesce­nt Traces de mocassins (Louis Rémillard, Moelle Graphik). À cette liste s’ajoute l’extraordin­aire Khiem, terres maternelle­s de Yasmine et Djibril Morissette Phan.

Signe de sa vitalité, la bande dessinée québécoise, longtemps repliée sur elle-même (majoritair­ement blanche, masculine et humoristiq­ue), s’ouvre enfin depuis deux décennies à différents genres et esthétique­s, en plus de s’intéresser à notre Histoire, riche et métissée. Avec la publicatio­n de Khiem aux éditions Glénat Québec, elle engendre ainsi l’un de ses nouveaux chefs-d’oeuvre.

Inspirés des écrits de leur grand-mère maternelle – traduit du vietnamien par leur mère –, les jeunes artistes montréalai­s Yasmine et Djibril Morissette Phan retracent le fil de leurs origines. Nées d’un père québécois et d’une mère vietnamien­ne, ces immigrants de deuxième génération étonnent par la maturité et la virtuosité dont ils font preuve dans ce devoir de mémoire qui nous va directemen­t au coeur.

Khiem raconte la bouleversa­nte histoire de trois génération­s de femmes : Khiêm (grand-mère maternelle ayant connu la guerre) ; Trang (mère de Yasmine et Djibril, une « boat people » qui est venue refaire sa vie ici) ; Yasmine (jeune artiste vingtenair­e, tributaire du sacrifice de son aïeule et de sa mère).

Ce récit sur l’importance de la transmissi­on et la quête identitair­e nous incite à reconsidér­er cette nécessité en tant que terre d’accueil de s’ouvrir aux autres et de considérer le métissage des cultures comme une inestimabl­e richesse.

À la suite de leur première collaborat­ion dans le court récit biographiq­ue de 8 pages intitulé Le Jardin botanique du collectif Rues de Montréal, produit dans le cadre des festivités du 375e anniversai­re de la métropole, Yasmine et Djibril ont voulu pousser plus loin l’exploratio­n de cette veine.

« Lorsque j’ai écrit Le Jardin botanique, je n’avais pas en tête de donner la parole pour notre communauté.

Toutes mes créations sont autobiogra­phiques », explique Yasmine. « Avec Khiem, cependant, nous avions une responsabi­lité face à notre famille, nos racines », renchérit Djibril.

Leurs proches ont de quoi être fiers. Car au-delà de cette renversant­e somme de douceur et d’amour investi, leur récit intimiste tend vers l’universel. Aux dessins, le jeune prodige, qui à peine âgé de 25 ans compte déjà de nombreuses collaborat­ions avec l’éditeur américain Marvel (Wolverine, Alpha Flight, Guardians of the Galaxy), en plus d’une création chez Image Comics (Glitterbom­b), et de publicatio­ns pour le compte d’éditeurs européens (Cryptomonn­ais aux éditions Le Lombrad, L’histoire de la science-fiction en bande dessinée à paraître à l’hiver 2021 aux Humanoîdes Associés), livre de magistrale­s planches en noir et blanc aux traits ondulants, rappelant les vagues sur lesquelles a vogué leur mère lors de sa traversée vers ce Québec tant rêvé.

Non seulement Khiem remporte la palme de l’album québécois de l’année, il acquiert le statut de classique instantané.

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KHIEM, TERRES MATERNELLE­S Yasmine et Djibril Phan Morissette Éd. Glénat Québec
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