Le Journal de Montreal - Weekend
PORTRAIT SENTIMENTAL DE CE QUE NOUS FÛMES
HISTOIRE POPULAIRE DE L’AMOUR AU QUÉBEC
De la Nouvelle-France à la Révolution tranquille (tome 2) Jean-Sébastien Marsan Éditions Fides
Le tome 1 traçait un portrait ¡olé ! ¡olé ! des premiers colons venus de France en terre d’Amérique. Nos ancêtres étaient de bons vivants, pas racistes pour deux sous. Arrive la terrible défaite de 1760 aux mains des Anglais, qui affichent un comportement sentimental à l’opposé de ceux qu’on appelle alors les Canadiens.
Comment une population de 60 000 habitants, en 1760, a-t-elle pu atteindre, un peu plus de 100 ans plus tard, les deux millions d’âmes – sans l’apport de l’immigration française – se demande l’auteur, qui a bien sûr la réponse à sa question : un taux de natalité record. L’Église catholique, qui deviendra alors « l’institution dominante d’un peuple dominé [Lucia Ferretti], ne parviendra jamais “à policer complètement les moeurs” ».
Je suis choqué d’apprendre que des Canadiennes ont accepté de pactiser avec l’ennemi après la défaite, alors que la ville de Québec était en ruines en raison des bombardements de l’armée anglaise. Or, plusieurs de ces soldats n’ont pas hésité à maltraiter les femmes canadiennes et à les agresser sexuellement. Mais certaines ont aussi exprimé bravement leur indignation lorsque des officiers ennemis les demandaient en mariage, comme le raconte Philippe Aubert de Gaspé dans son ouvrage Les Anciens Canadiens, paru en 1863.
Les Écossais et Irlandais qui viennent nous visiter dans les années qui suivirent la rupture avec la mère patrie nous décrivent comme « hospitaliers et attentifs aux étrangers ». Il faut préciser qu’environ 4000 Canadiens, majoritairement issus des classes instruites, ont quitté le pays vers la France dans les mois qui ont suivi la défaite. La population demeurée sur place sera sous-scolarisée pendant des décennies. Si les hommes sont majoritairement analphabètes, les femmes par contre ont davantage accès à des connaissances générales.
LES MOEURS D’UNE AUTRE ÉPOQUE
L’auteur rappelle que « le clergé se servait de l’Index pour surveiller les bibliothèques publiques et scolaires » et interdire des oeuvres comme Le rouge et le noir de Stendhal et Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, entre autres.
Tout comme il l’avait fait dans son premier tome, l’historien évoque le menu alimentaire qui a largement évolué sous le régime anglais. La mode et l’habillement sont également passés en revue, ainsi que les coutumes sanitaires et hygiéniques. En règle générale, on se marie entre personnes d’une même communauté et classe sociale. Le célibat des hommes était mieux toléré que celui des femmes qui, après 25 ans, « perdent leur valeur sur le marché du mariage ».
La vie culturelle n’est pas en reste, et le théâtre en constitue la manifestation la plus populaire. La première salle de spectacle permanente, le Théâtre Royal, propriété de l’homme d’affaires John Molson, fut inaugurée en 1825, rue Saint Paul, à Montréal. L’Église y voit une occasion de débauche et joue de son influence pour dissuader sa fréquentation.
Le mariage constitue une véritable industrie, codifiée par l’Église qui impose ses lois. Le but premier est la procréation, « le devoir conjugal imposant aux couples de copuler régulièrement ». Le premier baby boom date de cette époque.
Ce portrait de nous-mêmes après la défaite de 1760 est moins réjouissant que le précédent. La libération des moeurs arrivera, petit à petit, après 1920. Vivement la Révolution tranquille qui transformera notre paysage.