Le Journal de Montreal - Weekend

PLAIDOYER POUR UNE ÉCOLOGIE ÉCLAIRÉE

- JACQUES LANCTÔT

C’est vrai qu’on ne sait plus sur quel pied danser. On convient, en général, qu’il faut diminuer notre consommati­on de biens de toutes sortes. Aussi on admet qu’on mange trop de viande, laquelle nécessite énormément de ressources énergétiqu­es. Mais diminuer, c’est comme si ce n’était jamais assez. Il faudrait revenir très loin en arrière, redevenir le chasseur-cueilleur itinérant que nous fûmes il y a quelques milliers d’années, pour sauver la planète atteinte d’un cancer invasif.

Comme si « la Terre à l’état naturel [pouvait] donner en abondance à l’Homme tout ce qui est nécessaire à la satisfacti­on de ses besoins matériels », l’industrie et la technologi­e modernes seraient responsabl­es du désastre en cours. C’est ce genre de discours que tiennent les nouveaux écologiste­s adeptes du primitivis­me.

Le mythe du « bon sauvage » est de plus en plus présent dans le débat écologique actuel, nous dit l’auteur. L’être humain moderne aime se situer au centre de l’univers, ce qui serait tout à fait déplorable.

Cette rupture tragique entre l’humain et la nature remonterai­t au Néolithiqu­e, alors que les humains commencère­nt à contrôler le cycle reproducti­f des plantes et des animaux. Le primitivis­me déplore ce passage à une société sédentaire. Mais ce concept est une aberration historique, selon Madelin, « un cul-de-sac politique et stratégiqu­e, tant il semble improbable que l’humanité renoue un jour à grande échelle avec un mode de vie fondé sur la chasse et la cueillette ».

Le portrait que brossent les primitivis­tes de l’ère post-Paléolithi­que est apocalypti­que. « Nous passons de l’homicide à la guerre, de la disette familiale à la famine, de la diversité sous toutes ses formes à l’homogénéit­é, de la maladie, en tant que défaillanc­e organique individuel­le ou atteinte de parasites, à des épidémies de masse mortelles, d’un pouvoir centré sur le groupe ou un conseil à une hiérarchie d’empires », affirme Shepard. Mais il n’a pas tort sur toute la ligne.

L’auteur ne croit pas au paradis terrestre de l’ère paléolithi­que. Plusieurs grandes espèces animales ont disparu pendant ce soi-disant âge d’or et ce ne serait pas uniquement dû aux conditions climatique­s. « De toute évidence, préciset-il, les sociétés préhistori­ques ne vivaient pas toujours en parfaite harmonie avec leur environnem­ent ni avec les animaux qui le peuplaient. »

Pour Madelin, les tâches domestique­s tant décriées par les primitivis­tes, comme la culture et la récolte des céréales, le séchage, le battage, le pilage, le broyage, l’entretien du foyer, doivent se situer au centre de tout processus de civilisati­on. L’apparition du stockage d’aliments, qui découle de ces activités, entraîne nécessaire­ment la richesse, et par conséquent les inégalités sociales et même l’esclavage. Or, il a été prouvé que l’esclavage existait chez les population­s primitives, entre autres chez les chasseurs-cueilleurs de la côte nordouest de l’Amérique du Nord.

L’auteur remet donc en question la ligne de démarcatio­n entre le Paléolithi­que, présenté comme l’âge d’or, et le Néolithiqu­e, présenté comme le début de la déchéance humaine. Des formes d’inégalité entre les âges et entre les sexes existaient chez les chasseurs-cueilleurs nomades. Le mythe romantique du « bon Indien » jouissant d’une pleine liberté au milieu de la nature sauvage a désormais du plomb dans l’aile. « Au vu des données ethnograph­iques dont nous disposons, la violence dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs répond à deux motifs principaux : l’acquisitio­n de femmes (ou tout au moins la volonté, chez les hommes, de faire valoir les droits qu’ils exercent déjà sur leurs femmes s’ils les estiment menacés) et la soif de justice. »

Finalement, on apprend que le primitivis­me trouve sa raison d’être dans le culte du « wilderness », qui évoque « une nature presque toujours sauvage, parfois vierge, et aux antipodes de la civilisati­on moderne ». Il n’y aurait rien de plus moderne que le primitivis­me, puisque l’humain y est encore et toujours préoccupé par la quête de liberté, de justice, d’égalité entre hommes et femmes et d’harmonie entre l’humanité et la Terre. Mais il n’a jamais existé de société exempte de toute forme de domination, conclut le chercheur.

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Primitivis­me et effondreme­nt Pierre Madelin, Éditions Écosociété
FAUT-IL EN FINIR AVEC LA CIVILISATI­ON ? Primitivis­me et effondreme­nt Pierre Madelin, Éditions Écosociété
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