Le Journal de Montreal - Weekend
PLAIDOYER POUR UNE ÉCOLOGIE ÉCLAIRÉE
C’est vrai qu’on ne sait plus sur quel pied danser. On convient, en général, qu’il faut diminuer notre consommation de biens de toutes sortes. Aussi on admet qu’on mange trop de viande, laquelle nécessite énormément de ressources énergétiques. Mais diminuer, c’est comme si ce n’était jamais assez. Il faudrait revenir très loin en arrière, redevenir le chasseur-cueilleur itinérant que nous fûmes il y a quelques milliers d’années, pour sauver la planète atteinte d’un cancer invasif.
Comme si « la Terre à l’état naturel [pouvait] donner en abondance à l’Homme tout ce qui est nécessaire à la satisfaction de ses besoins matériels », l’industrie et la technologie modernes seraient responsables du désastre en cours. C’est ce genre de discours que tiennent les nouveaux écologistes adeptes du primitivisme.
Le mythe du « bon sauvage » est de plus en plus présent dans le débat écologique actuel, nous dit l’auteur. L’être humain moderne aime se situer au centre de l’univers, ce qui serait tout à fait déplorable.
Cette rupture tragique entre l’humain et la nature remonterait au Néolithique, alors que les humains commencèrent à contrôler le cycle reproductif des plantes et des animaux. Le primitivisme déplore ce passage à une société sédentaire. Mais ce concept est une aberration historique, selon Madelin, « un cul-de-sac politique et stratégique, tant il semble improbable que l’humanité renoue un jour à grande échelle avec un mode de vie fondé sur la chasse et la cueillette ».
Le portrait que brossent les primitivistes de l’ère post-Paléolithique est apocalyptique. « Nous passons de l’homicide à la guerre, de la disette familiale à la famine, de la diversité sous toutes ses formes à l’homogénéité, de la maladie, en tant que défaillance organique individuelle ou atteinte de parasites, à des épidémies de masse mortelles, d’un pouvoir centré sur le groupe ou un conseil à une hiérarchie d’empires », affirme Shepard. Mais il n’a pas tort sur toute la ligne.
L’auteur ne croit pas au paradis terrestre de l’ère paléolithique. Plusieurs grandes espèces animales ont disparu pendant ce soi-disant âge d’or et ce ne serait pas uniquement dû aux conditions climatiques. « De toute évidence, préciset-il, les sociétés préhistoriques ne vivaient pas toujours en parfaite harmonie avec leur environnement ni avec les animaux qui le peuplaient. »
Pour Madelin, les tâches domestiques tant décriées par les primitivistes, comme la culture et la récolte des céréales, le séchage, le battage, le pilage, le broyage, l’entretien du foyer, doivent se situer au centre de tout processus de civilisation. L’apparition du stockage d’aliments, qui découle de ces activités, entraîne nécessairement la richesse, et par conséquent les inégalités sociales et même l’esclavage. Or, il a été prouvé que l’esclavage existait chez les populations primitives, entre autres chez les chasseurs-cueilleurs de la côte nordouest de l’Amérique du Nord.
L’auteur remet donc en question la ligne de démarcation entre le Paléolithique, présenté comme l’âge d’or, et le Néolithique, présenté comme le début de la déchéance humaine. Des formes d’inégalité entre les âges et entre les sexes existaient chez les chasseurs-cueilleurs nomades. Le mythe romantique du « bon Indien » jouissant d’une pleine liberté au milieu de la nature sauvage a désormais du plomb dans l’aile. « Au vu des données ethnographiques dont nous disposons, la violence dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs répond à deux motifs principaux : l’acquisition de femmes (ou tout au moins la volonté, chez les hommes, de faire valoir les droits qu’ils exercent déjà sur leurs femmes s’ils les estiment menacés) et la soif de justice. »
Finalement, on apprend que le primitivisme trouve sa raison d’être dans le culte du « wilderness », qui évoque « une nature presque toujours sauvage, parfois vierge, et aux antipodes de la civilisation moderne ». Il n’y aurait rien de plus moderne que le primitivisme, puisque l’humain y est encore et toujours préoccupé par la quête de liberté, de justice, d’égalité entre hommes et femmes et d’harmonie entre l’humanité et la Terre. Mais il n’a jamais existé de société exempte de toute forme de domination, conclut le chercheur.