Le Journal de Montreal - Weekend

LES FAILLES D’UN SYSTÈME

- MAXIME DEMERS

Les chiffres dévoilés il y a trois ans par Statistiqu­e Canada sont aussi troublants qu’inquiétant­s : seulement 12 % des plaintes d’agressions sexuelles déclarées par la police au Canada de 2009 à 2014 ont mené à une reconnaiss­ance de culpabilit­é devant les tribunaux. Qu’est-ce qui cloche tant dans le système judiciaire pour que si peu de victimes d’agressions sexuelles réussissen­t à obtenir gain de cause ? C’est l’une des questions à laquelle les journalist­es Monic Néron et Émilie Perreault ont tenté de répondre dans leur documentai­re La parfaite victime.

La parfaite victime s’inscrit dans la suite logique du travail d’enquête mené par Monic Néron et Émilie Perreault dans l’affaire Rozon qui a éclaté à l’automne 2017, dans la foulée du mouvement #MoiAussi. Après avoir mis en lumière les témoignage­s de dix femmes affirmant avoir subi du harcèlemen­t et des agressions sexuelles de la part de Gilbert Rozon, les deux journalist­es qui travaillai­ent à l’époque pour la station de radio 98,5 FM ont vu leurs boîtes courriel inondées de messages de victimes de violences sexuelles de toutes sortes.

« Ce qui ressortait, c’est que le processus [de plainte criminelle] pouvait être aussi traumatisa­nt pour les victimes que l’agression en soi », a indiqué Monic Néron lors d’une rencontre de presse, la semaine dernière.

« On a commencé à se demander si on avait bien fait en implorant les gens de se tourner vers le système judiciaire pour dénoncer leurs agresseurs. On a reçu du feedback comme ça pendant des mois, et à un moment donné, Émilie m’a appelée pour me dire qu’elle avait parlé à un procureur de la Couronne et qu’elle avait senti que c’était sans issue [pour les victimes d’agressions sexuelles]. Elle était hors d’elle. On s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. On a donc voulu pousser l’exercice plus loin en allant voir comment ça se passe dans le système pour tenter de comprendre pourquoi tant de victimes d’agressions sexuelles décident de tourner le dos au système judiciaire. »

Rapidement, Émilie Perreault a suggéré de se tourner vers le cinéma pour mener cette nouvelle enquête : « Ç’a été mon premier réflexe, explique-t-elle. C’était assez clair pour moi qu’il fallait avoir les moyens d’aller au bout de cette enquête-là avec une caméra. La radio est un médium extraordin­aire, mais je pense que ça prenait les moyens du cinéma pour raconter cette histoire. Parce que pour moi, le cinéma a vraiment un grand pouvoir d’empathie. »

« UN ÉLECTROCHO­C »

Comme son titre le suggère, le documentai­re La parfaite victime montre que les victimes d’agressions sexuelles doivent pouvoir présenter des dossiers bétonnés et sans faille pour espérer obtenir gain de cause.

Pendant plus de trois ans, Monic Néron et Émilie Perreault ont recueilli les témoignage­s de plusieurs victimes présumées d’agressions sexuelles qui ont vécu un véritable chemin de croix en passant au travers du processus de plaintes criminelle­s. Elles ont aussi sondé les opinions de juges, avocats et criminalis­tes, dont certains ont admis sans détour ne jamais avoir perdu de cause en défendant un client accusé d’agression sexuelle.

« Je pense que ceux qui ont accepté de témoigner dans le film l’ont fait parce qu’ils savaient que c’était peutêtre une opportunit­é de faire une différence et de frapper un grand coup pour qu’on réussisse à faire enfin cet examen de conscience collectif qu’on a tant besoin de faire », souligne Monic Néron.

« Il y a beaucoup de gens qui font très bien leur travail dans ce systèmelà. Mais malheureus­ement, ce n’est pas juste une affaire que quelques individus. C’est le système au complet qui pose problème. C’est ça qu’on a voulu exposer. »

Mais en exposant ainsi les failles de ce système, les deux journalist­es ne craignent-elles pas de décourager encore plus les victimes de porter plainte ?

« On s’est posé cette question plusieurs fois, admet Monic Néron. Mais on ne change pas les choses en ne brassant pas la cage. On s’est dit que ça prenait peut-être un électrocho­c. »

La productric­e du film, Denise Robert (Les Invasions Barbares), espère elle aussi que La parfaite victime contribuer­a à faire avancer le système judiciaire.

« Le film m’a ouvert les yeux sur tellement d’éléments que je ne connaissai­s pas », a confié la productric­e qui a aussi produit il y a quelques années les documentai­res Dérapage et Les voleurs d’enfances, de Paul Arcand.

« On a montré La parfaite victime à des personnes qui ont l’habitude de faire du documentai­re, dont mon conjoint [Denys Arcand], et ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas réalisé que c’était comme ça. Deux avocats nous ont aussi dit qu’ils avaient eu mal à leur profession en voyant le film. Ils n’ont pas dit ça par méchanceté. Ils l’ont dit parce qu’ils veulent aussi que les choses changent. »

La parfaite victime prend l’affiche le 30 juin.

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Les journalist­es et réalisatri­ces Monic Néron (à gauche )et Émilie Perreault (à droite) en compagnie de la productric­e Denise Robert.
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