Le Journal de Montreal - Weekend
LA MATERNITÉ RACONTÉE AUTREMENT
Avec le drame familial Entre toutes les mères, la Canadienne Ashley Audrain effectue une entrée fracassante sur la scène littéraire.
Ashley Audrain n’aurait jamais pensé qu’un jour, elle allait devenir romancière à plein temps. Oui, bien sûr, elle a toujours aimé écrire. Mais pas au point d’en faire une carrière. Ayant elle-même longtemps oeuvré au sein d’une maison d’édition de renom, elle était assez bien placée pour savoir à quel point le métier était difficile, avec ses nombreux appelés et son très petit cercle d’élus.
Sauf que dans la vie, il y a parfois des choses qu’on ne peut absolument pas prévoir. « Peu après sa naissance, en 2015, mon fils a commencé à avoir des problèmes de santé et on lui a diagnostiqué une maladie chronique, explique Ashley Audrain, qu’on a pu joindre chez elle, à Toronto. Lorsque nos enfants sont si petits, on veut tellement les protéger de tout ce qui pourrait leur arriver de terrible. Moi, j’étais mère depuis seulement deux semaines que déjà, toutes ces peurs me rattrapaient. Mon expérience de la maternité, essentiellement passée à l’hôpital, a donc été très différente de tout ce que j’avais pu imaginer. »
Avec un petit malade à la maison, on peut aisément comprendre pourquoi Ashley Audrain a préféré ne pas retourner travailler une fois son congé de maternité terminé. Et n’étant pas du genre à se tourner les pouces, eh bien elle a commencé à écrire. Quelques phrases ici et là au début, puis tout un roman, qui a rapidement remporté un très vif succès du côté anglo. Mais pas que. À l’heure actuelle, Entre toutes les mères a été traduit en 34 langues. Quant à ses droits d’adaptation, ils ont été vendus au producteur britannique David Heyman, qui a notamment produit toute la série des Harry Potter.
MÈRE AU BORD DE LA CRISE DE NERFS
Pourquoi pareil engouement ? Parce qu’Ashley Audrain aborde le thème de la maternité sous un angle plutôt inhabituel. Et qu’elle le fait bien. « Même si beaucoup de mes peurs et de mes craintes sont présentes dans l’histoire, Entre toutes les mères n’est pas autobiographique, tient-elle d’emblée à préciser. J’ai voulu écrire sur les attentes liées à la maternité, sur le fait que parfois, elles n’ont strictement rien à voir avec ce qui va arriver dans la réalité. »
On fera ainsi la connaissance de Blythe Connor, qui file depuis plusieurs années le parfait amour avec Fox, un architecte de métier. Ce qui tombe plutôt bien, puisqu’ils sont sur le point de fonder leur propre famille ! Mais si Fox est convaincu que Blythe va vite devenir une mère fantastique, Blythe, elle, est loin d’en être aussi sûre. Car si elle tient un tant soit peu de sa mère Cecilia ou de sa grand-mère Etta, il y a de fortes chances pour qu’elle n’ait pas la fibre maternelle très longue ni très épaisse.
De fait, dès qu’elle mettra au monde la petite Violet, les choses ne tarderont pas à prendre un drôle de tournant : pleurant uniquement en compagnie de Blythe, on pourrait presque croire que Violet n’apprécie pas beaucoup la présence de sa mère. Il suffit de la voir quand son père est dans les parages. Un vrai rayon de soleil !
Du coup, la question se pose : Blythe fait-elle vraiment tout ce qu’il faut pour bien s’en occuper ? C’est en tout cas ce que Fox commencera peu à peu à se demander…
JEUX D’ENFANTS…
Ashley Audrain n’a pas voulu écrire un roman trop noir. Donc ici, point de remake àla Petite Aurore, l’enfant martyre .Cequi,ilfaut l’avouer, est quand même une excellente nouvelle ! Il n’empêche. Tout comme on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas ses enfants. Et c’est là-dessus qu’Ashley Audrain va en partie tabler.
« Je ne peux pas trop en dire, mais à un moment ou à un autre, presque toutes les mères vont avoir tendance à se demander ce qui se passerait si leurs enfants tournaient mal ou si quelque chose en eux les rendait difficiles à aimer, souligne-t-elle.
Elles assument qu’elles vont avoir le contrôle sur qui ils sont et sur ce qu’ils vont devenir sauf qu’en réalité, ce n’est pas toujours le cas ou possible... »
Voilà qui ne laisse rien présager de bon pour les Connor et racontée par Blythe bien des années plus tard, l’histoire d’Entre toutes les mères est presque – on dit bien presque ! – aussi troublante que le fameux Il faut qu’on parle de Kevin de Lionel Shriver.