Le Journal de Montreal - Weekend
REVIVRE 1980, DE L’ÉCHEC À LA POÉSIE
Quand l’échec référendaire de 1980 est pimenté de surréalisme, ça donne un enchantement littéraire !
Après 15 ouvrages, entre récits, romans et poésie, Yvon Paré s’offre un roman particulier, son plus achevé selon lui. Avec une genèse dont peu d’écrivains peuvent se vanter : il en a jeté les premiers jalons il y a près de quarante ans !
C’est dire s’il a ce livre à coeur et c’est dans cet esprit qu’on parcourt Les revenants : en se laissant guider les yeux fermés par l’imagination d’un auteur aussi tenace. Et on garde confiance même dans les passages les plus déroutants.
Car Les revenants ne répond pas aux critères habituels d’un roman. Il n’y a pas de chapitres dans ce livre, pas de dialogues non plus, et parfois les couches temporelles se superposent. Mais c’est beau comme un conte impossible.
D’ailleurs, la lecture à voix haute des extraits du roman, à laquelle se livre l’auteur sur Facebook, confirme sa filiation à la tradition orale, si forte dans notre histoire. L’audace, c’est d’y associer le premier référendum sur l’avenir du Québec !
Il est donc question d’un homme qui, au soir du 20 mai 1980, perd subitement la mémoire, assommé par le résultat, lui qui avait tellement cru au pays à venir. Pire encore, il se retrouve physiquement ailleurs.
Ce Montréalais d’adoption est en fait parachuté au Saguenay, dans son village natal de La Doré – celui d’Yvon Paré. Tout l’enjeu du récit, c’est de le sortir de son amnésie, lui faire redécouvrir son identité.
Cet homme, surnommé Presquil d’ici à ce qu’il réalise pleinement qu’il est Richard-Yvon Blanc, va réapprendre à voir ce qui l’entoure, à reconnaître son entourage d’autrefois et à se réapproprier ses souvenirs.
GRISERIE
À cette quête se mêlent des influences littéraires – Victor Lévy-Beaulieu et Gabriel Garcia-Marquez sont omniprésents – et la griserie tirée du pot et des champignons magiques. Alors parfois, ça plane fort et tout s’emmêle !
On se laisse porter parce que ce roman regorge d’images évocatrices. C’est à la fois une fête de la nature et une célébration d’un art de vivre.
Paré fond tout cela dans des phrases simples et concrètes : « Les madriers étaient chauds sous la plante des pieds. Une marmotte attendait devant les lilas, bien droite sur la galerie. Je m’approchai, m’agenouillai et d’un geste lent, la baptisai. »
Il sera question de cueillette des fraises puis du temps des bleuets, de corde à linge, d’une Marie-Louise comme il y en a eu tant autrefois, de chants autochtones, de bran de scie, du lutteur Yvon Robert, d’Amérique française…
Évidemment, la politique est au rendez-vous. Tout l’entourage de Presquil ne partage pas sa peine du pays perdu et il se rappelle les vives confrontations qu’il y avait eu en 1980. Mais lui continue de s’interroger. Il constate : « Nous étions d’une naïveté effarante. »
Paré arrive ainsi à témoigner de manière originale du choc prégnant de la défaite, pas effacé de toutes les mémoires.