Le Journal de Montreal - Weekend
ZOOM SUR NOTRE HISTOIRE MARITIME
Amélie Blanchette est candidate à la maîtrise en histoire de l’Université du Québec à Rimouski.
Billy Rioux est aussi candidat à la maîtrise en histoire de l’UQAR. Il est également le fameux « coureur des bois moderne » qui a signé le livre Bushcraft – La survie relax en 2018 chez VLB Éditeur.
Jean-René Thuot est professeur d’histoire au Département des lettres et humanités de l’UQAR.
Guillaume Marsan est archiviste-coordonnateur aux centres de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Rimouski et à Gaspé.
Restés inédits jusqu’à ce jour, plusieurs textes du gardien de phare Placide Vigneau sont présentés et annotés par des chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski dans un livre étonnant, d’une grande richesse historique et patrimoniale : Récits de naufrages. Les chercheurs racontent, entre autres, les suites épouvantables du naufrage du
Granicus à l’île d’Anticosti, en 1828, où le Québec a connu un épisode terrifiant d’anthropophagie.
Placide Vigneau (1842-1926) est né à Havre-aux-Maisons, aux Îles-de-laMadeleine. Il a été pêcheur, capitaine de goélette et gardien du phare de l’île aux Perroquets, dans l’archipel de Mingan, entre la Côte-Nord et Anticosti.
C’est là qu’il a mis en forme ses
Récits de naufrages, qui mettent en scène des épisodes tragiques et parfois terrifiants de l’histoire maritime de la Côte-Nord et du golfe du SaintLaurent, au 19e siècle.
Cette région peuplée par des pêcheurs et des chasseurs aux origines diverses revit sous la plume de Placide Vigneau, qui évoque les naufrages, mais aussi les traditions, les vieux mots acadiens utilisés par les gens du golfe du Saint-Laurent, le commerce, la pêche.
Jean-René Thuot, professeur à l’UQAR, s’est passionné pour les écrits de Placide Vigneau, comme les membres de son équipe, Amélie Blanchette, Guillaume Marsan et Billy Rioux.
« L’imaginaire rural du Québec est bien important, mais depuis quelques années, il y a des chercheurs qui nous rappellent qu’il y a aussi un Québec forestier et un Québec maritime. Le Québécois est un homme qui s’est beaucoup construit à travers l’eau, comme point de départ », fait-il remarquer.
UNE « AUTOROUTE »
Le fleuve Saint-Laurent d’autrefois était comme une « autoroute ». « C’était noir de bateaux. Il y avait toutes sortes d’embarcations sur le fleuve : des barges, des canots, des goélettes, des gros transatlantiques, des bricks. Il y avait plein de bateaux parce que les routes étaient impraticables à plusieurs endroits, une partie de l’année. Dans l’Est du Québec, il n’y en avait pas de routes terrestres. »
Jean-René Thuot ajoute que Placide Vigneau raconte l’Histoire, à partir de l’eau, et non pas à partir de la terre. « Il est toujours sur un bateau. Il raconte des expéditions de pêche.
Il parle de personnes rencontrées sur des îles. Ce qu’on s’aperçoit, c’est que tout ce qui est autour du golfe du Saint-Laurent, c’était une grande zone d’interaction. »
« Raconter le pays maritime, c’est raconter un endroit où il y a du danger, où il y a de l’improbable, de l’aléatoire, de l’instabilité. Tu ne sais jamais ce que tu vas pêcher », dit l’historien.
« Tu ne sais jamais ce qui va se passer à la pêche au hareng à l’automne ou à la chasse au loup-marin au printemps. C’est très dangereux et tu peux mourir à chaque traversée, à chaque voyage. Il y a un niveau d’aventure qui fait en sorte que les naufrages font partie de la vie. »
Placide Vigneau relate une histoire terrifiante dans ses Récits de naufrages – celle du naufrage du Granicus, à l’île d’Anticosti. Le naufrage et l’histoire de cannibalisme qui a suivi lui ont été contés par un témoin oculaire. Mais il n’y a pas que cela dans ses Récits de naufrages.
« Placide n’a pas publié l’ensemble de son recueil de son vivant. On a une belle histoire dans l’histoire du
Granicus, qui est quasiment rendue une histoire et un mythe », ajoute Jean-René Thuot.
« On se fait aussi raconter la Côte-Nord à travers les naufrages, les disparitions, la communauté des pêcheurs, leurs rituels, leur façon de vivre au quotidien sur la Côte-Nord. On s’est dit : ça va plus loin. Là, on va aider le Québec à se reconnaître. »