Le Journal de Montreal - Weekend

ENCORE CRÉATIF À80ANS

À 80 ans, Yves Beauchemin éprouve toujours une profonde passion pour l’écriture, et l’inspiratio­n ne manque pas. Auteur de nombreux romans, dont cinq livres jeunesse, il travaille à son 19e ouvrage. Il est heureux lorsqu’il écrit et enthousias­te lorsqu’il

- JOSIANNE DESJARDINS

Monsieur Beauchemin, quand vous avez commencé, étiez-vous capable de vous projeter dans le temps ?

Absolument pas ! Je n’ai pas commencé jeune, j’avais la trentaine. Je suis une fleur tardive, comme on dit ! C’est normal que si je commence tard, je finisse tard. Pour mon premier livre, L’enfirouapé (1974), j’ai été refusé par pratiqueme­nt tous les éditeurs à Montréal, à l’époque. Quand j’ai eu mon xième refus, je suis allé voir l’éditeur Henri Tranquille. C’était vraiment tout un numéro ! Il disait ce qu’il pensait. Je lui ai présenté mon manuscrit en lui demandant s’il aurait la bonté de me lire. Quand je l’ai revu, il m’a dit qu’il l’avait lu en trois nuits. Il m’a aussi dit que ça méritait d’être publié, et il a téléphoné à Alain Stanké pour le convaincre. Il a accepté.

Votre deuxième roman, Le matou (1981), a remporté plusieurs prix et a été porté au grand écran. Comment avez-vous vécu ce succès ?

Ça m’a un peu enflé la tête ! Pour un jeune homme, c’était quelque chose à assimiler. On finit par se prendre pour quelqu’un d’autre... mais le succès m’a encouragé et j’ai fini par faire de l’argent. J’ai demandé un congé sans solde – j’étais alors recherchis­te à Radio-Québec – pour écrire mon troisième livre, Juliette Pomerleau (1989). C’est celui dont j’ai eu le plus peur. Comme écrivain, on a toujours peur d’être l’écrivain d’un seul livre à succès. J’ai mis tellement d’efforts, j’écrivais de sept à huit heures par jour. Finalement, j’ai présenté mon livre chez Québec Amérique. J’ai croisé les doigts, ç’a été un succès, et je vis de ma plume depuis ce temps-là.

Quelle est l’oeuvre dont vous êtes le plus fier ?

Celle à laquelle je suis le plus attaché, c’est la trilogie de Charles le Téméraire (20042006). J’ai mis quelques années à l’écrire, et c’est mon roman le plus ambitieux. Ça ne raconte pas juste l’histoire de Charles, mais celle du Québec que j’ai connu, qui s’émancipait avec le Parti québécois (PQ). Je ne vis plus tout à fait dans le même pays où je suis né... Le Québec est menacé de plus en plus d’anglicisat­ion. Depuis Jacques Parizeau, c’est fini les belles années du PQ. Au départ, Charles le Téméraire devait compter quatre tomes, mais je n’ai jamais pu écrire le dernier, car c’était sur l’indépendan­ce du Québec. Ç’aurait été une fin extraordin­aire. J’aurais pu l’imaginer, mais ç’aurait été se couper de la réalité.

Quelle est votre vision du Québec pandémique ?

Ç’a été une période difficile, unique. C’est un événement marquant pour la planète, et c’est une révélation de ce qu’est la société humaine (considéran­t que seulement 2 % de la population mondiale a reçu deux doses). Les taux de divorce ont augmenté, la détresse psychologi­que aussi. C’est comme si c’était la guerre, car on vit un stress collectif.

De quoi êtes-vous le plus reconnaiss­ant, et qu’est-ce que vous auriez aimé faire différemme­nt ?

Je sors un roman par cinq, six ou sept ans. J’écris lentement, mais j’ai pu vivre de ma plume, à mon rythme d’écriture. Je me trouve extraordin­airement chanceux d’avoir vécu de mes romans, sans stress. Je remercie mes lecteurs et lectrices, car c’est eux qui me l’ont permis. J’ai eu de bons éditeurs qui m’ont permis d’améliorer mes textes. [...] Il n’y a pas beaucoup de choses que je regrette. Mon grand chagrin, c’est de ne pas avoir vu l’indépendan­ce du Québec. On a perdu des chances d’être plus heureux. On n’est pas encore complèteme­nt maîtres de notre destin. Sinon, j’aurais aimé avoir plus de liens affectifs avec mes parents. C’est de ma mère que je tiens mon goût pour la lecture et la musique classique. De mon père, je tiens le perfection­nisme. Je suis très minutieux dans mon écriture.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?

À 80 ans, c’est probableme­nt le dernier roman que j’écris. C’est rare qu’un écrivain de mon âge publie de la fiction. Certains écrivains en fin de carrière vont écrire leurs réflexions ou quelque chose d’autobiogra­phique. Ce n’est pas mon genre ! J’écris des histoires et il y a une part de ma vie là-dedans, bien sûr. Dans mon prochain roman, le personnage principal est un médecin en fin de carrière qui tombe malade. Il travaille à l’urgence de l’Hôpital Charles-Le Moyne. Il reçoit un jeune homme d’environ 20 ans qui a eu un accident et qui est en cavale [...] Tout le roman est basé sur l’interactio­n entre le médecin et le jeune homme. J’essaie d’écrire une page par jour, ce qui est pas mal. J’ai écrit 140 pages, et ce roman sera plus court que les autres. J’espère que quelques-uns de mes livres seront encore lus après ma mort, mais je ne me fais pas d’illusions. On appelle ça des classiques. Victor Hugo a écrit Notre-Dame de Paris et Les Misérables (au XIXe siècle). Imaginez, on les lit encore ! C’est la qualité des livres qui importe, avant tout.

Newspapers in French

Newspapers from Canada