Le Journal de Montreal - Weekend
« Cesser d’écrire équivaudrait à cesser de respirer. »
- Robert Lalonde
Que représente écrire et jouer pour vous à ce stade de votre vie ?
« Jouer, écrire, peindre, en fait m’adonner à la création est pour moi une façon de vivre, depuis toujours et j’espère qu’il en sera de même jusqu’à la fin. L’âge à cet égard n’a aucune importance, sinon celle de me donner l’illusion que je fais de mieux en mieux avec les années. »
Comment gardez-vous le feu sacré et le désir de continuer après toutes ces années ?
« Le feu sacré est une vision de l’esprit. Seuls comptent en fait pour moi le désir et l’assiduité. Tant que l’eau de mon puits se renouvelle et que je me pose avec constance devant la page blanche, ou me joins à mes camarades en salle de répétitions, la force et le courage, l’abandon et le doute, la frousse et la confiance m’accompagnent et ce qui advient toujours est plus fort que ce que je suis porté à envisager au départ. Le feu sacré, donc, ce serait ça : le désir et le goût du dépassement. »
On ne vous imagine pas vous arrêter d’écrire et de jouer un jour. Est-ce une éventualité que vous envisagez ou pas du tout ?
« Cesser d’écrire équivaudrait à cesser de respirer. Jusqu’au dernier râle, je veux tâcher de tirer au clair le sens de ma présence au monde et partager mes inquiétudes et mes espoirs avec celles et ceux qui envisagent la création de la même façon que moi.
Ce qui pourrait faire en sorte que je m’arrête ? La terminaison de ma santé et là encore, non, je perdurerais dans le mal comme dans la faiblesse. »
Comment vous gardez-vous en forme ?
« Qu’on s’entraîne ou bien qu’on obéisse aveuglément à ce que le corps suggère de lui-même, rien n’est garanti. Pour ma part, j’ai mes petites routines – gymnastique, nage, jardinage, marche avec mon chien et surtout siestes entre les périodes de stress. La santé ne se travaille pas, elle nous laisse libres et se faire trop de souci pour elle la fait regimber... »
Croyez-vous que les artistes soient victimes d’âgisme ?
« Tour à tour, on me dote de sagesse, de délinquance ou de décrépitude. Le plus souvent de sagesse, il me semble. Le métier d’acteur est autrement moins difficile pour les hommes vieillissants que pour les femmes vieillissantes. Déplorable, mais toujours vrai.
Quoi qu’il en soit, comme disait la grande Betty Davis : “Growing old is not for sissies ”– ce qui pourrait se traduire par : “Vieillir n’est pas fait pour les poules mouillées…” Je me refuse cependant à considérer qu’il existe des écarts générationnels infranchissables. Ce serait abdiquer devant la vision commune qui veut que la jeunesse soit une affaire d’âge. Je connais pas mal de très vieux jeunes gens et de très jeunes vieillards… Si la tête flanche, le coeur lui ne vieillit pas, fort heureusement. Et puis il faudrait cesser d’imaginer la vie avec des notions polarisantes comme jeune, vieux, beau, laid, valable, nul, etc. La vérité est qu’il n’existe pas de pensée pure, pas d’émotion pure. Comme le dit Freud lui-même : la névrose, c’est l’incapacité d’accepter l’ambiguïté, qui est qu’on le veuille ou non, notre modus
vivendi quotidien à tous. »